Chapitre I
L'ENTERREMENT DE VICTOR HUGO
« Je crois en Dieu. Je ne crois pas aux religions », avait confessé dans son testament Victor Hugo. Cet ultime hommage au Très-Haut lui valut au ciel un traitement de faveur. On ne s’acharne pas sa vie durant à faire la leçon au Père sans nouer avec Lui de saintes relations. Victor Hugo vénérait Dieu, Dieu admirait Victor Hugo.
Pour souligner cette considération, Il l’autorisa à assister à ses propres funérailles. Même Lazare, même le Fils, n’avaient pas eu droit à cette faveur.
Derrière un nuage poussé jusqu’au ciel par le mistral aigrelet du Rhône, le vent qui avait fait couler le nez de Cyrano, le poète vécut son suprême combat, son ultime soumission. Son dernier soupir fut son dernier souffle, et son dernier souffle un adieu à l'amour.
Dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, avec les égards dus à la lyre, un vieillard qui respirait la jeunesse lui ouvrit les portes du paradis.
— Dans cet ineffable séjour, les poètes n’ont besoin ni de concierge ni de juge, deux engeances redoutables, lui dit d’emblée saint Pierre, j’ai tenu à vous placer à la droite du Seigneur. Auparavant, reposez-vous un instant. Ce nuage vous tend les bras.
Victor Hugo admira cette image audacieuse et s’installa. Du haut de son cumulus, il regarda Paris en larmes. L'homme qui composa l’Art d’être grand-père et, à quatre-vingts ans, baisa sa première négresse ; le troubadour des Contemplations; le tourmenteur de Napoléon le Petit et du général Cavaignac, se souvint qu’il avait fait à la France le don de sa personne et que le peuple lui en savait gré.
Alors, le grand mort pleura. Il pensait à sa capitale et il pensait à Juliette. « Tu mérites le ciel. Je voudrais que Dieu te le donne sans t’ôter à moi. Qu’Il te fît ange en te laissant femme1. » Le souvenir de celle qu’il avait tellement aimée, donc tellement trompée, secouait son vieux cœur. Il récita sa dernière lettre : « Cher adoré, je ne sais où je serai l’année prochaine à pareille époque, mais je suis heureuse et fière de te signer mon certificat de vie pour celle-ci par ce seul mot : je t'aime. Juliette. »
A ce moment, le tonnerre gronda et l’Eternel lui dit :
— Séchez vos larmes. Vous allez la retrouver...
— Que Dieu Vous entende.
L'Eternel lui révéla les secrets de l’éternité : seuls le paradis et le purgatoire attendent les défunts.
— Et l’enfer? lui demanda-t-il.
— L'enfer n’existe pas. Le diable est une invention des hommes, modelée à leur image.
A peine remis de sa découverte, on l’informa de la décision du gouvernement français de lui offrir des obsèques nationales, et d’inhumer sa dépouille au Panthéon. Malgré cette marque d’estime, il fut un peu déçu de la modestie de la sépulture : n’aurait-il pas mieux reposé aux Invalides ? « Pourquoi pas le Golgotha ? » murmura le Fils, éternellement surpris par la vanité des hommes.
A Paris, la presse se déchaîne. Le Français vilipende le zèle de la gauche : « Ce matin, une feuille radicale fort répandue, La Lanterne, émet le vœu que la dépouille mortelle du poète soit portée au Panthéon ; or, comme il ne peut plus y avoir place sous la même coupole pour le Christ et pour M. Hugo, La Lanterne demande naturellement qu’on jette le Christ à la porte. »
Le Journal du Midi ridiculise les excès de l’hugolâtrie : « L'apothéose commence, l’apothéose grotesque et sacrilège qui ridiculise l’homme au lieu de le grandir. [...] Il faut donc que l’immense orgueil qui a dominé sa vie trop longue, plane encore sur sa mort et que la pose prétentieuse qui a défiguré son talent et amoindri son caractère, grimace une dernière fois sur son cercueil ! »
La foule afflue, grossit, s’agite. Des milliers de Parisiens entassés sur les trottoirs, la chaussée, font trembler les murs de la maison de Victor Hugo, en attendant la levée de son corps, sans cesse retardée. Il faut patienter jusqu’à six heures du matin pour que les autorités daignent le conduire vers cet Arc de triomphe bâti par un légendaire pour accueillir la légende.
Sous la voûte, le décor mortuaire imaginé par Garnier s’épanouit dans la démesure : le cénotaphe est surmonté d’un écusson de la République, frappé aux initiales VH, entourées de larmes d’argent; un immense voile de crêpe obscurcit la voûte; les oriflammes tricolores cernent le portrait du poète, et sur des médaillons, on peut lire cet envoi : « La France à Victor Hugo » ; les candélabres portent des faisceaux de drapeaux voilés de noir; sur des blasons flamboient les titres de ses principales œuvres : Marion Delorme, Notre-Dame de Paris, Hernani, La Légende des siècles...