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C’est l’histoire d’un secret.
Il n’aurait jamais dû appartenir à la catégorie très convoitée des « secrets ». Et pourtant. Pendant quelques années, il a été un sujet de conversation pour des millions de personnes.
Il a débuté comme un fait divers : un drame sanglant qui s’est déroulé pendant le mois de juin 1949 et a connu son épilogue en mai 1950 avec le procès de l’assassin.
Ce secret s’est alors étalé en gros titres tachés de sang dans la presse :
L’HOMME À LA VALISE SANGLANTE
DÉCOUPÉ EN MORCEAUX ET PLACÉ DANS UNE VALISE PAR SON AMI
TOUTES LES POLICES DE FRANCE SONT À SES TROUSSES
L’HOMME À LA VALISE FAIT LE TOUR DE FRANCE EN TRAIN
LA VALISE SANGLANTE VUE PAR DES TÉMOINS À LA CONSIGNE DE LA GARE D’AUSTERLITZ
France-Soir, Le Figaro, L’Aurore envoient leurs meilleurs envoyés spéciaux à la poursuite de l’homme à la valise. C’est un succès : chaque jour de nouveaux témoins, de nouvelles révélations, de nouveaux détails, de nouveaux lecteurs.
Trente-cinq ans plus tard, Paris-Match publie les bonnes feuilles d’un ouvrage consacré à cinquante ans de crimes et forfaits en chemin de fer, et choisit, bien sûr, pour ses lecteurs, le plus sensationnel :
L’HOMME À LA VALISE SANGLANTE
Le chapitre est intitulé :
L’INCREVABLE MONSIEUR SCHNECK
L’increvable Monsieur Schneck est l’homme coupé en morceaux pour tenir dans deux valises trop petites.
L’increvable Monsieur Schneck n’a pas le beau rôle de l’homme à la valise. Il est l’homme dans la valise.
Monsieur Schneck est surtout le mari de ma grand-mère, Paulette, le père d’un fils unique, mon père.
Monsieur Schneck est mon grand-père.

Comment vit-on ce drame dans la famille de « l’increvable Monsieur Schneck » ?
On ne le vit pas. L’histoire n’existe pas. Il n’y en a pas. Max Schneck est mort, rien à dire.
Pourtant mon père a vécu toute sa vie d’adulte avec cette histoire.
Elle a existé au tréfonds de son cœur. Comme une tache qu’il fallait cacher de peur de salir ses enfants.
Max Schneck, son père, est mort, il n’y a rien à dire. Et de façon incompréhensible, un incroyable fait divers s’est bizarrement transformé en un rien, sale et oublié.
Comment la « valise sanglante » est-elle alors sortie de sa tombe ?
A-t-elle de nouveau sali ceux qui l’ont déterrée ?
C’est l’histoire de ce livre.
Au début, c’est la faute d’une petite fille mal élevée qui farfouille dans le bureau de ses parents à la recherche de secrets, justement.
Il y a ce vieux numéro de Paris-Match, il date de juillet 1981, avec Lady Di et le prince Charles en couverture. Sur cette photo, Diana paraît avoir une tête de moins que son fiancé. Un trucage du photographe. Dans la réalité, ils faisaient la même taille.
Le titre est doublement alléchant :
ELLE : ELLE APPREND À ÊTRE REINE LUI : SES AMOURS DE CÉLIBATAIRE
Me connaissant, j’ai dû commencer par lire le dossier sur Charles et Lady Di. Une fois le dossier bien épuisé – en particulier le chapitre sur LES FRASQUES QUE CHARLES DEVRA LUI FAIRE OUBLIER, qui manque de clairvoyance et passe complètement à côté de Camilla Parker-Bowles –, et parce que j’étais à la campagne et que je m’ennuyais ferme, j’ai fini par lire le Document Paris-Match, dont le titre en ouverture n’avait absolument rien pour me tenter :
MALLES SANGLANTES ET AUTRES CURIOSITÉS FERROVIAIRES
En chapeau : Rolande Girard a réuni en un volume, aux éditions Jean-Jacques Pauvert, quelques événements surprenants qui apportent une contribution non négligeable à la glorieuse histoire du rail.
Le genre d’histoire à mourir d’ennui. Rien à voir avec le scintillant article sur les amours de princesse.
Encore à cette époque, et c’est une manie que j’ai aujourd’hui un peu abandonnée, j’étais mue par une obsession qui me venait de l’enfance : je lisais absolument tout ce qui était à portée de main. Les Pages blanches de l’annuaire à la recherche de noms connus, le dictionnaire pour trouver des mots rigolos, des livres de recettes de cuisine. Et, bien sûr, les livres de la bibliothèque de mes parents.
Un été. J’avais dix ans. Mes parents s’extasiaient sur un roman de Peter Handke, La Femme gauchère. Je l’avais trouvé très ennuyeux. Mais j’avais trouvé très marrant un livre érotique de Jacques Lanzman, Les Transsibériennes. Mon père m’avait engueulée, par contre il avait été très impressionné quand il me surprit le même été, lisant Récits de la Kolyma, un livre sur l’univers concentrationnaire soviétique. « Ma fille est épatante. » Je l’entendais raconter mes exploits à ses amis.