1
Le principe de la légalité criminelle
La violation des interdits pénaux (infractions, classées selon la gravité de la peine encourue en crimes, délits et contraventions, art. 111-1 C. pén.) est sanctionnée de peines parmi lesquelles figure, en tant que peine principale, la privation de liberté (détention ou réclusion criminelle, emprisonnement). Par essence, le droit pénal met les libertés en péril et, dans un régime démocratique, il est primordial que chacun puisse connaître par avance les infractions et les peines applicables. Ainsi, nul ne peut être accusé, arrêté ou détenu que dans les cas déterminés par la loi (art. 7 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – DDHC ; art. 111-3 C. pén.) et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi adoptée et promulguée antérieurement au délit (art. 8 DDHC ; art. 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – CESDH). À cela s’ajoute qu’il est également souhaitable que le droit de punir repose sur la représentation des citoyens au Parlement, de sorte que la loi détermine les crimes, les délits et les peines qui leur sont applicables (art. 111-2 al. 1er C. pén. ; art. 34 de la Constitution du 4 octobre 1958) alors que la définition et la sanction des contraventions relèvent du règlement (art. 111-2, al. 2nd C. pén. ; art. 37 de la Constitution du 4 octobre 1958). Depuis la Constitution de 1958, les sources du droit pénal se sont ainsi diversifiées, tendance qui s’accentue sous l’influence de l’internationalisation du droit.
Le juge répressif applique donc des textes légaux, réglementaires et conventionnels. Il peut ainsi se livrer à un contrôle de compatibilité de la loi pénale aux traités, de même qu’il peut interpréter ou apprécier la légalité d’un règlement constituant le fondement de la poursuite pénale (art. 111-5 C. pén.). Ainsi, le principe nulla poena, nullum crimen sine lege voit sa signification et sa portée se transformer, à tel point qu’il semble plus adapté de le désigner comme principe de textualité pénale.
Néanmoins, il demeure intangible que corrélativement à ce principe, la loi pénale est d’interprétation stricte (art. 111-4 C. pén.). Le pouvoir du juge doit être limité, relativement à l’interprétation de la loi et à la qualification des faits. Ainsi, seules certaines méthodes d’interprétation sont permises en droit pénal. En cas de concours de qualifications (concours idéal d’infractions), le juge répressif doit choisir une seule qualification (principe de l’unicité de qualification).
Les incontournables
Références classiques
 C. BÉCCARIA, Des délits et des peines, GF Flammarion, préface Robert Badinter
 J.-P. DELMAS SAINT-HILAIRE, « Le principe de la légalité des délits et des peines », Mélange Bouzat, p. 149.
 J.-P. DOUCET, « La loi pénale », Paris, 1986.
 R. LEGROS, « Considération sur les lacunes et l’interprétation en droit pénal », RSC 1966-67, p. 3.
 G. LEVASSEUR, « Une révolution en droit pénal : le nouveau régime des contraventions », D. 1959, chr. p. 121
 Y. MAYAUD, « Ratio legis et incriminations », RSC 1983, p. 597.
 G. STEFANI, « Le domaine de la loi et du règlement en matière pénale », Études juridiques en hommage à Juliot de la Morandière, 1965, p. 581.
Actualité doctrinale
 D. REBUT, « Le principe de la légalité des délits et des peines », RPDP 2001, n° 2, p. 335.
 A. DECOCQ, « Le désordre juridique français », Mélanges J. Foyer, PUF, 2007, p. 147.
 A. PROTHAIS, « La tentative pour le juge de refaire la loi pénale », Mélanges B. Bouloc, Dalloz, 2007, p. 209.
 A. GIUDICELLI, « Le principe de la légalité en droit pénal français », RSC 2007, p. 512, n° 7.
«Ramener le principe de la légalité à sa dimension substantielle, en faire un principe de textualité, ne suffit cependant pas à supprimer tout débat sur la question de son recul ou de son déclin. La multiplication des sources du droit pénal s’est accompagnée d’une inflation normative dont elle n’est d’ailleurs pas la seule explication. La société hypermoderne, soumise à l’urgence, marquée par l’individualisme et l’éphémère, est aussi consommatrice de règles pénales dont l’objet n’est parfois que de répondre à des besoins ponctuels ou à des demandes de circonstance; droit pénal « magique », « rite incantatoire », « instrument de politique spectacle », les expressions ne manquent pas pour désigner la fonction de communication que peut remplir à notre époque la norme pénale. Par ailleurs, il n’est pas rare qu’un texte fasse l’objet de modifications peu de temps après sa promulgation. L’inflation des textes se double ainsi de leur instabilité, le tout pouvant contribuer à une dévaluation de la règle de droit et, plus particulièrement, à l’affaiblissement du principe de la légalité .»
Sujets commentés
Commentaire d’arrêt
Cass. crim. 20 février 2001, n° 98-84846 : D. 2001, p. 3001, note Wachsmann.
[...]
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 38, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881, 6, 7 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué qu’à la suite d’un attentat commis à Paris, dans une station du Réseau Express Régional (RER), le quotidien France-Soir a publié un reportage sur cet événement comportant la photographie d’une personne blessée, partiellement dénudée ; que le journal Paris-Match a fait aussi paraître ce cliché ; que l’enquête diligentée sur plainte de la victime a révélé que la photographie, prise à l’insu de l’intéressée, avait été acquise auprès d’agences de presse ; que le ministère public a fait citer devant le tribunal correctionnel, pour infraction à l’article 38, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881, Michel D… et Roger G…, directeurs de publication de France-Soir et Paris-Match, Françoise Z..., Hubert C..., Goksin E..., Nicole X..., responsables des agences précitées, comme complices, ainsi que les sociétés, en qualité de civilement responsables ; que les prévenus ont soutenu que l’article 38, alinéa 3, précité, alors applicable, qui interdisait la publication de tout ou partie des circonstances d’un des crimes et délits prévus par les chapitres Ier, II et VII du titre II, du livre II du Code pénal, était incompatible avec les articles 6, 7 et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme;
Attendu que, pour accueillir ce moyen de défense, la cour d’appel énonce que « la possibilité pour chacun d’apprécier par avance la légalité de son comportement touchant, comme en l’espèce, à l’exercice de libertés essentielles, implique une formulation particulièrement rigoureuse des incriminations et ne saurait résulter que de définitions légales claires et précises » ; qu’elle relève que le texte de l’article 38, alinéa 3, comporte une formule évasive et ambiguë en ce qu’il s’agit de la reproduction de tout ou partie des circonstances d’un des crimes et délits visés ; que l’expression « circonstances », foncièrement imprécise, est d’interprétation malaisée ; qu’elle ajoute que, trop générale, cette formulation introduit une vaste marge d’appréciation subjective dans la définition de l’élément légal de l’infraction et ne permet pas à celui qui envisage de procéder à la publication d’être certain qu’elle n’entre pas dans le champ d’application de l’interdit ; qu’elle retient enfin que cette ambiguïté rend aléatoire l’interprétation du texte qui serait faite par le juge selon les cas d’espèce et que la rédaction de l’article 38, alinéa 3, n’offre pas de garanties réelles quant à la prévisibilité des poursuites ; que les juges en déduisent que ce texte est incompatible avec les articles 6, 7 et 10 de la convention précitée ;
Attendu qu’en cet état, la cour d’appel a justifié sa décision;
D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi; […]
ANALYSE DU SUJET
- Les faits : À la suite d’un attentat dans le RER de Paris, le quotidien France-Soir et le journal Paris-Match publient la photographie d’une victime blessée et partiellement dénudée. La victime porte plainte. Il apparaît que le cliché a été acquis auprès d’agences de presse. Or, au moment des faits, l’article 38, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1889 sur la liberté de la presse incrimine la reproduction de tout ou partie des circonstances d’un crime ou d’un délit relevant des chapitres I, II et VII du titre II, du livre II du Code pénal, qui concerne les crimes et délits contre les personnes, plus particulièrement les atteintes à la personne humaine que les sont les homicides et blessures volontaires et les infractions commises contre les mineurs.
- La procédure : Sont ainsi poursuivis devant le tribunal correctionnel les directeurs de publication des journaux et les directeurs des agences de presse. En appel, ils soutiennent, comme moyen de défense, que l’incrimination prévue par l’article 38, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1889 est incompatible avec les articles 6, 7 et 10 CESDH (respectivement : droit à un procès équitable, respect du principe de la légalité criminelle, liberté d’expression). La cour d’appel relaxe les prévenus. Elle estime que la possibilité pour chacun de connaître par avance la légalité de tel ou tel comportement est une liberté essentielle qui implique de définir les infractions de manière claire et précise. Or il lui apparaît que le terme de « circonstances » employé dans le texte litigieux ne permet pas de garantir suffisamment la prévisibilité des poursuites. Le ministère public intente un pourvoi.
- Le problème juridique : La question se pose de l’appréciation de la précision, de la clarté et de la prévisibilité de l’incrimination, qualités de la loi requises selon l’article 7 CESDH en vertu de l’interprétation qui en a été faite par la Cour européenne des droits de l’homme et qui pose de telles exigences.
- La solution de l’arrêt : La chambre criminelle, le 20 février 2001, approuve la cour d’appel, considérant qu’elle a justifié sa décision.
- L’appréciation de l’arrêt et le plan du commentaire : Une telle solution risque de porter atteinte à la séparation des fonctions législative et judiciaire si elle ouvrait la voie à une remise en cause de la législation pénale par le juge judiciaire. Il s’agit donc d’une solution audacieuse (I). Toutefois, l’examen de la jurisprudence ultérieure démontre qu’une telle possibilité est restée de portée limitée. Cette retenue mérite d’être approuvée compte tenu des difficultés d’appréciation (II) de la précision des textes en raison de la généralité inévitable de la loi pénale.
SUGGESTION DE PLAN
I • L’inapplication audacieuse d’un délit incompatible avec l’article 7 CESDH
La chambre criminelle approuve l’inapplication d’un texte pénal en raison de son absence de clarté, de précision et de prévisibilité, conditions de respect du principe de la légalité criminelle. L’examen de ces qualités de la loi constitue une prérogative ainsi accordée au juge judiciaire mais qui est confortée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et par celle du Conseil constitutionnel (A). Néanmoins, cette prérogative est rarement utilisée ou même approuvée par la chambre criminelle de la Cour de cassation (B).
A – Une prérogative confortée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et du Conseil constitutionnel
Selon la Cour européenne des droits de l’homme et le Conseil constitutionnel (sur le fondement respectif des articles 7 CESDH et 7 DDHC), les incriminations doivent être formulées de façon suffisamment claire et précise afin que la sanction pénale soit prévisible (CEDH, affaire Sunday Times c/ R-U, 26 avril 1979 – DC 19-20 janvier 1981 – DC 18 janvier 1985 – DC 5 mai 1998). Cela étant, le juge judiciaire n’est pas juge de la constitutionnalité des lois. Toutefois, en raison de la primauté des traités sur les lois internes mêmes postérieures (art. 55 de la Constitution de 1958), il doit se livrer, lorsqu’il y est requis, à un contrôle de conventionalité, c’est-à-dire à l’examen de la compatibilité des lois aux traités, dont la CESDH fait partie. À cette fin, il respecte l’interprétation de cette convention telle qu’elle résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. À défaut, en effet, après épuisement des voies de recours internes, l’intéressé pourra former une requête devant la Cour et, s’il obtient gain de cause, demander ensuite le réexamen de l’affaire à la chambre criminelle de la Cour de cassation (art. 626-1 et s. CPP). Le juge répressif a donc tout intérêt à appliquer l’article 7 CESDH selon l’interprétation qu’en retient la Cour européenne. La Cour européenne ouvre cependant là une voie dangereuse, qui n’est d’ailleurs que rarement utilisée par la chambre criminelle.
B – Une prérogative rarement utilisée ou approuvée par la chambre criminelle de la Cour de cassation
L’arrêt rendu le 20 février 2001 constitue la troisième décision relative à l’examen par le juge répressif de la compatibilité d’une incrimination avec l’article 7 CESDH (Cass. crim. 1er février 1990, Bull. crim n° 56 – Cass. crim. 20 octobre 1991, Bull. crim. n° 386 – Cass. crim. 27 mars 1995, Bull. crim. n° 125), les précédentes ayant donné lieu à cassation. Il s’agit ici d’un arrêt de rejet, mais la décision est davantage critiquable. Toutefois, lorsque l’arrêt est rendu, le délit a déjà été abrogé par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes (art. 35 quater). Ainsi, les risques d’empiètement du pouvoir judiciaire sur le pouvoir législatif sont-ils inexistants. La solution pourrait dès lors paraître davantage justifiée par ce contexte particulier. D’ailleurs, ultérieurement, la chambre criminelle a toujours rejeté les pourvois formés contre des décisions de condamnation invoquant l’incompatibilité du texte pénal avec l’article 7 CEDH (ex. : Cass. crim. 22 novembre 2005, Bull. crim. n° 307, RSC 2006, p. 339). La frilosité de la chambre criminelle apparaît justifiée par les difficultés d’appréciation que pose l’examen, par le juge répressif, du respect de la légalité criminelle par le législateur.
II • L’appréciation délicate de l’incompatibilité des infractions avec l’article 7 CESDH
Afin d’éviter toute immixtion répréhensible dans l’exercice du pouvoir législatif, le juge répressif doit faire preuve de rigueur dans l’appréciation de la qualité de la loi pénale. C’est la raison pour laquelle les infractions reconnues incompatibles sont en définitive rares (A), ce qui s’explique par le caractère restrictif de l’appréciation des conditions de la qualité de la loi pénale (B).
A – La rareté des infractions reconnues incompatibles
Certes, les juges du fond ont pu parfois utiliser pleinement cette prérogative (TGI Toulouse, 30 octobre 1995 : D. 1996. 101, note Mayer et Chassaing, au sujet de l’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, incriminant l’aide directe ou indirecte facilitant l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France). Néanmoins, la chambre criminelle rejette les pourvois fondés sur l’incompatibilité avec l’article 7 CESDH lorsqu’un texte peut être interprété afin de déterminer son champ d’application, par exemple, en cas d’entrave aux fonctions représentatives du personnel (Cass. crim. 22 novembre 2005, Bull. crim. n° 307). Les juges du fond également se montrent raisonnables dans l’usage de cette possibilité, en refusant par exemple d’écarter l’application du délit de harcèlement moral (TGI Auch, 24 août 2006, RSC 2006 p. 841). En réalité, l’appréciation des caractères de précision, clarté et prévisibilité de la loi pénale doit être restrictive.
B – L’appréciation restrictive des conditions de la qualité de la loi pénale
La Cour européenne des droits de l’homme ne permet pas, dans l’application de l’article 7 CEDH, de remettre en cause la législation pénale au seul motif de la généralité des termes de la loi et de la possibilité d’en retenir telle ou telle interprétation (CEDH, affaire Cantoni c/ France 15 novembre 1996, Dr. pén. 1997, comm. n° 11, J.-H. Robert).
Relativement à l’article 38, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881, il n’est pas certain qu’elle aurait admis son incompatibilité avec l’article 7. Cette solution se révèle donc liée au contexte d’abrogation de ce texte, la chambre criminelle ayant par la suite respecté la jurisprudence de la Cour en refusant d’accueillir les pourvois critiquant l’application de termes généraux figurant dans les textes d’incrimination.
Cette rigueur n’empêche pas d’approuver la possibilité pour le juge répressif, dans certains cas très particuliers et heureusement peu fréquents de jouer un véritable rôle de garant du respect du principe de la légalité criminelle, sans pour autant porter atteinte à la séparation des pouvoirs judiciaire et législatif.
Lectures
Commentaire d’arrêt
Cass. crim., 30 juin 1999 n° 97-82351 : Bull. crim. n° 174 ; D. 1999. 710, note Vigneau ; ibid. 2000. Somm. 27, obs. Mayaud et 169, obs. Desnoyer et Dumaine ; JCP (G), 2000, II, 10231 (1er arrêt), note Fauré ; Gaz. Pal. 1999. 2. 676, note Bonneau ; ibid. 1999. 2, chron. crim. 139, obs. Doucet ; Petites affiches, 17 novembre 1999, note Debove ; Dr. pén. 2000. 3, obs. Véron ; RSC 1999. 813, obs. Mayaud (Cassation de Lyon, 13 mars 1997 : D. 1997. 557, note Serverin ; JCP (G), 1997, II, 22 955, note Fauré ; Dr. pén. 1997. Chron. 22, obs. Puigelier ; Defrenois 1997, art. 36 578, p. 640, note Malaurie).
LA COUR, […]
Vu l’article 111-4 du Code pénal ;
Attendu que la loi pénale est d’interprétation stricte ;
Attendu qu’il ressort de l’arrêt attaqué qu’à la suite d’une confusion résultant de l’homonymie entre 2 patientes présentes dans le même service de gynécologie, X..., docteur en médecine, a procédé sur l’une d’elles, venue pour un examen de grossesse, à une intervention visant à extraire un stérilet; que cet acte a provoqué une rupture de la poche des eaux rendant nécessaire l’expulsion du fœtus ;
Attendu que X... a été poursuivi pour atteinte involontaire à la vie de l’enfant à naître ;
Attendu que, pour le déclarer coupable d’homicide involontaire, la juridiction du second degré relève que l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques reconnaissent l’existence, pour toute personne, d’un droit à la vie protégé par la loi ; qu’elle souligne que la loi du 17 janvier 1975, relative à l’interruption volontaire de grossesse, pose le principe du respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, désormais rappelé par l’article 16 du Code civil dans la rédaction issue de la loi du 29 juillet 1994 ; qu’ensuite elle énonce qu’en intervenant sans examen clinique préalable, le médecin a commis une faute d’imprudence et de négligence, qui présente un lien de causalité certain avec la mort de l’enfant que portait la patiente ;
Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors que les faits reprochés au prévenu n’entrent pas dans les prévisions des articles 319 ancien et 221-6 du Code pénal, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé ;
D’où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt de la cour d’appel de Lyon, en date du 13 mars 1997 ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi.
ANALYSE DU SUJET
- Les faits : Suite à une confusion entre deux patientes portant le même nom, le docteur X... effectue sur une femme enceinte un acte visant à extraire un stérilet, ce qui provoque la rupture de la poche des eaux et nécessite l’expulsion du fœtus. X... est poursuivi pour homicide involontaire.
- La procédure : En appel, il est condamné. La cour d’appel se fonde sur le respect du droit à la vie. Selon elle, toute personne bénéficie de ce droit dès le commencement de sa vie, selon l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 16 du Code civil et l’article 6 du Pacte relatif aux droits civils, civiques et politiques. Elle applique donc l’incrimination d’homicide involontaire (art. 221-6 C. pén.) aux faits qui lui sont soumis et en déduit d’ailleurs que les éléments constitutifs de l’infraction sont réunis : une faute de la part du médecin, en relation de causalité directe avec le décès.
X... se pourvoit en cassation.
- La solution de l’arrêt : La chambre criminelle de la Cour de cassation casse la condamnation en appel au visa de l’article 111-4 du Code pénal, en vertu duquel la loi pénale est d’interprétation stricte. Elle considère que l’article 221-6 du Code pénal incriminant l’homicide involontaire n’est pas applicable.
- L’intérêt du sujet : Il s’agit du premier arrêt rendu par la chambre criminelle sur cette question. Cette solution a été abondamment commentée et pose des problèmes qui dépassent le cadre strict du droit pénal général (droit civil, droit pénal spécial). Cependant, l’arrêt présente aussi l’intérêt de se fonder sur un principe de droit pénal général, corollaire du principe de la légalité criminelle : l’interprétation stricte de la loi pénale (art. 111-4 du C. pén.). Il convient donc de centrer le commentaire sur cet élément.
- L’appréciation de l’arrêt et le plan du commentaire : Compte tenu des méthodes d’interprétation de la loi pénale, il apparaît que la solution dégagée par la chambre criminelle se fonde, certes et à juste titre, sur l’interprétation stricte de la loi pénale, mais procède en réalité d’une interprétation restrictive de l’article 221-6 du Code pénal, ce qui peut être critiqué.
PISTES DE RÉFLEXION
Le problème de la protection pénale du fœtus illustre les enjeux des méthodes d’interprétation de la loi pénale. L’interprétation par analogie est interdite en droit pénal (Cass. crim. 9 août 1913, DP 1917. 1. 69), sauf interprétation large des lois pénales favorables (Cass. crim. 8 février 1940, D. 1940. 1. 651). Sont seules admises l’interprétation littérale et l’interprétation téléologique en cas d’imprécision d’un texte. L’article 221-6 du Code pénal vise « autrui » en tant que victime de l’homicide involontaire. Si autrui désigne indéniablement une personne, la question demeure de savoir si l’embryon ou le fœtus peuvent y être assimilés. Étant donné l’imprécision du texte sur ce point, il est vain de rechercher la ratio legis du texte dans les travaux préparatoire du Code pénal nouveau. Cependant, il est possible d’avoir recours à des principes généraux du droit (Cass. crim. 8 février 40, op. cit.), et donc au domaine du droit à la vie, dans la mesure où l’homicide involontaire tire sa raison d’être de la protection de ce droit (la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme estime que le droit à la vie posé par l’article 2 de la Convention oblige les États signataires à prévoir une législation pénale dissuadant de commettre des atteintes à ce droit : CEDH, 28 oct. 1998, Osman c/ R.-U., Rec. 1998, VIII). Cependant, le recours à la notion de droit à la vie suscite davantage de difficultés qu’il n’en résout. En effet, s’il est accordé depuis le début de la vie, il est susceptible de remettre en cause la législation sur l’avortement. L’article 16 du Code civil protégeant la vie dès son commencement s’intègre dans un corpus juridique qui réglemente l’avortement. Il ne pose donc pas un droit à la vie, mais assure la protection de la vie selon des modalités qui permettent l’avortement. Les tentatives d’interprétation téléologique semblent dès lors délicates à mettre en œuvre et la chambre criminelle évite cet écueil en se fondant sur l’interprétation stricte de la loi pénale. L’inapplication de l’article 221-6 du Code pénal au fœtus sera par la suite maintenue et même réaffirmée en assemblée plénière (Ass. plén. 29 juin 2001, Bull. crim. 165), mais la Cour évoquera alors également le respect du principe de la légalité criminelle. À la suite de cela, la chambre criminelle reprendra la solution sur le double fondement de l’interprétation stricte et du respect du principe de la légalité criminelle. Le recours à ce principe n’est pas contestable, mais il est possible de douter de la parfaite rationalité de sa mise en œuvre. En effet, le respect du principe de la légalité criminelle et de l’interprétation stricte de la loi pénale commandent de s’en tenir aux termes employés par la loi. Si toute interprétation commence par être littérale, c’est particulièrement vrai en matière pénale. Lorsqu’un terme se révèle ambigu, comme pouvant être interprété dans des sens différents, le respect du principe de l’interprétation stricte ne commande pas nécessairement de choisir l’interprétation la plus étroite. En réalité, afin de préserver l’entière utilité du texte et éviter les lacunes répressives, il conviendrait de privilégier plutôt le sens le plus englobant, sauf, bien entendu, à ce que les raisons d'interprétation – de nature téléologiques – l’emportent au profit d’un sens plus étroit. Il n’est pas certain que ce soit le cas ici, en raison du silence gardé sur les limites du droit à la vie, alors que l’arrêt attaqué prenait parti sur ce point. Certes, cette question est extrêmement délicate et la Cour européenne des droits de l’homme elle-même évite de se prononcer (CEDH, 8 juillet 2004, Vo c/ France, D. 2004, jur. 2456, note J. Pradel ; JCP (G) 2004. II. 10158, note M. Levinet). Quoi qu’il en soit, il se produit un amalgame entre interprétation stricte et restrictive qui n’est pas fondé sur la ratio legis du texte, mais juste sur l’article 111-4 du Code pénal qui ne commande pas nécessairement une telle confusion. Il s’ensuit des conséquences regrettables que la chambre criminelle n’a pu éviter, pour rester par la suite fidèle à sa position initiale. Elle a ensuite considéré qu’un enfant mort-né, en raison d’un dépassement de terme dû à une faute médicale ne rentrait pas dans les prévisions de l’article 221-6 du Code pénal, ce qui n’est pas loin de s’apparenter à une lacune répressive. Ainsi, l’auteur d’une imprudence mortelle échappe ou non à toute condamnation selon que l’enfant est mort-né ou a pu naître vivant. La jurisprudence criminelle, sous couvert du respect du principe de la légalité criminelle, introduit une subtilité non expressément prévue par la loi et crée ainsi une lacune répressive qui peut être particulièrement choquante pour les parents concernés.