Le problème de la protection pénale du fœtus illustre les enjeux des méthodes d’interprétation de la loi pénale. L’interprétation par analogie est interdite en droit pénal (Cass. crim. 9 août 1913,
DP 1917. 1. 69), sauf interprétation large des lois pénales favorables (Cass. crim. 8 février 1940,
D. 1940. 1. 651). Sont seules admises l’interprétation littérale et l’interprétation téléologique en cas d’imprécision d’un texte. L’article 221-6 du Code pénal vise « autrui » en tant que victime de l’homicide involontaire. Si autrui désigne indéniablement une personne, la question demeure de savoir si l’embryon ou le fœtus peuvent y être assimilés. Étant donné l’imprécision du texte sur ce point, il est vain de rechercher la
ratio legis du texte dans les travaux préparatoire du Code pénal nouveau. Cependant, il est possible d’avoir recours à des principes généraux
du droit (Cass. crim. 8 février 40,
op. cit.), et donc au domaine du droit à la vie, dans la mesure où l’homicide involontaire tire sa raison d’être de la protection de ce droit (la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme estime que le droit à la vie posé par l’article 2 de la Convention oblige les États signataires à prévoir une législation pénale dissuadant de commettre des atteintes à ce droit : CEDH, 28 oct. 1998,
Osman c/ R.-U.,
Rec. 1998, VIII). Cependant, le recours à la notion de droit à la vie suscite davantage de difficultés qu’il n’en résout. En effet, s’il est accordé depuis le début de la vie, il est susceptible de remettre en cause la législation sur l’avortement. L’article 16 du Code civil protégeant la vie dès son commencement s’intègre dans un corpus juridique qui réglemente l’avortement. Il ne pose donc pas un droit à la vie, mais assure la protection de la vie selon des modalités qui permettent l’avortement. Les tentatives d’interprétation téléologique semblent dès lors délicates à mettre en œuvre et la chambre criminelle évite cet écueil en se fondant sur l’interprétation stricte de la loi pénale. L’inapplication de l’article 221-6 du Code pénal au fœtus sera par la suite maintenue et même réaffirmée en assemblée plénière (Ass. plén. 29 juin 2001,
Bull. crim. 165), mais la Cour évoquera alors également le respect du principe de la légalité criminelle. À la suite de cela, la chambre criminelle reprendra la solution sur le double fondement de l’interprétation stricte et du respect du principe de la légalité criminelle. Le recours à ce principe n’est pas contestable, mais il est possible de douter de la parfaite rationalité de sa mise en œuvre. En effet, le respect du principe de la légalité criminelle et de l’interprétation stricte de la loi pénale commandent de s’en tenir aux termes employés par la loi. Si toute interprétation commence par être littérale, c’est particulièrement vrai en matière pénale. Lorsqu’un terme se révèle ambigu, comme pouvant être interprété dans des sens différents, le respect du principe de l’interprétation stricte ne commande pas nécessairement de choisir l’interprétation la plus étroite. En réalité, afin de préserver l’entière utilité du texte et éviter les lacunes répressives, il conviendrait de privilégier plutôt le sens le plus englobant, sauf, bien entendu, à ce que les raisons d'interprétation – de nature téléologiques – l’emportent au profit d’un sens plus étroit. Il n’est pas certain que ce soit le cas ici, en raison du silence gardé sur les limites du droit à la vie, alors que l’arrêt attaqué prenait parti sur ce point. Certes, cette question est extrêmement délicate et la Cour européenne des droits de l’homme elle-même évite de se prononcer (CEDH, 8 juillet 2004,
Vo c/ France,
D. 2004, jur. 2456, note J. Pradel ;
JCP (G) 2004. II. 10158, note M. Levinet). Quoi qu’il en soit, il se produit un amalgame entre interprétation stricte et restrictive qui n’est pas fondé sur la
ratio legis du texte,
mais juste sur l’article 111-4 du Code pénal qui ne commande pas nécessairement une telle confusion. Il s’ensuit des conséquences regrettables que la chambre criminelle n’a pu éviter, pour rester par la suite fidèle à sa position initiale. Elle a ensuite considéré qu’un enfant mort-né, en raison d’un dépassement de terme dû à une faute médicale ne rentrait pas dans les prévisions de l’article 221-6 du Code pénal, ce qui n’est pas loin de s’apparenter à une lacune répressive. Ainsi, l’auteur d’une imprudence mortelle échappe ou non à toute condamnation selon que l’enfant est mort-né ou a pu naître vivant. La jurisprudence criminelle, sous couvert du respect du principe de la légalité criminelle, introduit une subtilité non expressément prévue par la loi et crée ainsi une lacune répressive qui peut être particulièrement choquante pour les parents concernés.