INTRODUCTION
L'angoisse a été objet de philosophie moderne (Kierkegaard, Heidegger, Sartre...), mais les psychologues se sont eux aussi intéressés à sa genèse, à ses formes et à sa pathologie. Bien que l'opposition anxiété (manifestations ressenties et physiques) et angoisse (dimension subjective) puisse être contestée puisqu'elle a permuté selon les époques, nous la conserverons puisqu'elle est sous-jacente aux classifications actuelles. L'anxiété est devenue le point de repère de l'établissement d'une typologie anxieuse spécifique seulement vers la fin du XXe siècle. Ceci s'explique par le fait qu'une composante anxieuse peut apparaître dans presque toutes les maladies mentales. L'utilisation de l'anxiété comme critère diagnostique et donc de distinction par rapport à d'autres troubles a dû attendre l'apparition d'un certain nombre de travaux qui lui donnèrent une place centrale dans la symptomatologie. On retrouve la description d'états anxieux (idées fixes, peur phobique, impulsions) sous le terme de « délire émotif » dans des publications de Morel à partir de 1866.
En 1871, Westhphal décrit l'agoraphobie caractérisée comme une « peur de traverser des places ou des rues ». Le travail de Legrand du Saulle (1875) sur « la peur des espaces » permet d'isoler les phobies et de leur attribuer un statut autonome. À la même époque on délimite la typologie des obsessions-compulsions déjà esquissée avec le concept de monomanie d'Esquirol (1838). Falret, en 1866, détaille les caractéristiques de ce trouble sous le concept de « folie raisonnante » qui sera ultérieurement élaboré par Krafft-Ebing et Legrand de Saulle. Ils s'en suivent de nombreux travaux sur les phobies et les obsessions. Les auteurs confondent parfois les deux puisque des craintes peuvent induire des comportements obsessionnels et les compulsions ressembler à des réactions de peur.
L'isolement du groupe « troubles anxieux » doit encore attendre, puisque les patients non psychotiques qui souffrent de symptômes d'angoisse sont orientés vers les médecins somatiques ou neurologiques. Pourtant, Cullen avait déjà en 1769 introduit le terme de névrose (maladie nerveuse générale) pour décrire l'ensemble de ces symptômes. Après lui, Pinel (1818) définit la névrose comme « maladie sans lésion ». Beard en 1880 différencie les troubles de l'hystérie et de l'hypocondrie en les regroupant sur le terme de « neurasthénie ». Leur étiologie se trouverait dans l'épuisement nerveux en lien avec un changement stressant. L'attaque de panique a été plus facilement repérable par des médecins de l'armée. Da Costa en effet isole en 1871 un ensemble de symptômes qu'il appelle « cœur irritable », et que Brissaud (1890) nomme « névrose cardiaque ».
Mais celui qui permet de donner un statut autonome aux états anxieux est Freud qui, en 1895, isole la névrose d'angoisse en la différenciant de la neurasthénie. La névrose d'angoisse est caractérisée par un état constant d'anxiété et d'inquiétude. Freud, attaché à la description des processus et de l'étiologie de la névrose, la classera parmi les « névroses actuelles » (sans origine infantile ni symbolique du symptôme, peu accessible à la psychanalyse) alors qu'il placera « l'hystérie d'angoisse » (cas du Petit Hans) parmi les « névroses de transfert » (origine dans l'enfance, présence de symptômes possédant un sens et accessibles à la psychanalyse). Si la cause est sexuelle dans les deux types de névroses, les mécanismes sont très différents. Il y aurait donc des états anxieux correspondant au modèle général de la névrose (origine sexuelle infantile, refoulement œdipien, conflit intrapsychique) et d'autres correspondant à celui des névroses actuelles.
Freud a aussi produit une théorie de l'angoisse qu'il a remaniée plusieurs fois en considérant d'abord que l'angoisse est la conséquence du refoulement (cf. le Petit Hans, 1905). En 1916, il fait la distinction entre angoisse réelle et angoisse névrotique. La première serait activée par la perception d'un danger, la seconde serait due au refoulement de la libido qui se transforme en angoisse. Lorsque celle-ci est associée à un danger extérieur elle se traduit par une phobie, et lorsque le patient essaye de la contrôler, elle se traduit par des obsessions. En, 1926, Freud considère que l'angoisse n'est pas la conséquence du refoulement, mais la cause. L'angoisse est alors un signal d'alarme activé par des pulsions libidinales et elle déclenche le travail des mécanismes de défense. La phobie devient l'objet sur lequel le sujet a déplacé son angoisse de castration. Ce déplacement est pour Freud la base de toute expression névrotique. Ses successeurs développeront d'autres concepts : angoisses de morcellement chez le psychotique, de perte d'objet chez l'état-limite, de castration chez le névrosé en insistant sur le schéma : conflit (interne au moi ou avec la réalité) → angoisse (forme de déplaisir) → mécanismes de défense pour rétablir l'homéostasie (refoulement, projection, déplacement, clivage, déni) → réduction de la souffrance mais fonctionnement psychique amoindri et coûteux → nouveaux conflits, etc.