Le Roman de Renart

Le Roman de Renart

© Éditions Larousse 2008
ISBN : 978-2-03-586663-9

Le Roman de Renart

AVANT D’ABORDER L’ŒUVRE

Le Roman de Renart

Le Roman de Renart

Fiche d’identité des auteurs

Les mystérieux auteurs du Moyen Âge…

À cette époque, les textes sont le plus souvent anonymes : ainsi, les différentes parties du Roman de Renart ne sont pas signées. On ne se soucie pas, au Moyen Âge, de savoir à qui appartient l’œuvre, et une même histoire peut être écrite par plusieurs auteurs, comme c’est le cas pour les aventures de Renart.

Il faut aussi penser que l’imprimerie n’existe pas encore : comment savoir alors si le nom qui figure sur un manuscrit est celui de l’auteur ou celui du « copiste » (c’est-à-dire le clerc qui a recopié le manuscrit) ? Quant au « je » qui apparaît souvent dans le texte, il peut renvoyer soit à l’auteur, soit à celui qui raconte l’histoire : comme les gens, bien souvent, ne savent pas lire, c’est un récitant, appelé « jongleur », qui raconte oralement l’histoire.

Les auteurs du Roman de Renart (de 1170 à 1250 environ)

Les différentes parties du roman (appelées « branches ») ont été écrites par une vingtaine d’auteurs différents ! Parmi tous ceux-ci, trois seulement sont authentifiés : Pierre de Saint-Cloud, Richard de Lison et le prêtre de la Croix-en-Brie. Les autres sont restés dans l’anonymat.

Pourquoi tant d’auteurs pour une même histoire ? À cause de son prodigieux succès ! Au départ, Pierre de Saint-Cloud écrit la branche la plus ancienne (branche II). Dès la fin du XIIe siècle naît l’idée d’un cycle des aventures de Renart et d’autres auteurs décident d’écrire les épisodes manquants de sa vie : on invente par exemple la naissance de Renart (branche XXIV) ou encore sa mort (branche XVII). Il n’y a donc pas un, mais plusieurs « romans de Renart ».

Le Roman de Renart

Repères chronologiques

Le Roman de Renart

Le Roman de Renart

Le Roman de Renart

Fiche d’identité de l’œuvre

Le Roman de Renart

Auteur : de 1175 à 1250 environ, plusieurs auteurs, le plus souvent anonymes ou peu connus, ont écrit les aventures de Renart.

Genre : suite de récits appelés « branches » (26 en tout), écrits en ancien français. Toutes les branches ont pour héros Renart le goupil. Ce texte n’est appelé « roman » que parce qu’il a été écrit en ancien français, alors appelé langue « romane ».

Forme : récit écrit en vers octosyllabiques (de huit syllabes).

Personnages principaux : Renart le goupil et Hermeline son épouse, Ysengrin le loup et Hersent sa femme, Noble le lion, roi des animaux, et Fière son épouse, Chanteclerc le coq, les poules Pinte et Copée, Tibert le chat, Tiécelin le corbeau, Brun l’ours, Grimbert le blaireau, Couart le lièvre, Tardif le limaçon, Pelé le rat, Bruyant le taureau, plusieurs vilains ou moines.

Sujet : Renart, héros de tous les épisodes, ne cesse de tromper les uns et les autres pour se procurer de la nourriture ou pour avoir le plaisir de jouer de bons tours à ses ennemis. Sa principale victime est le loup Ysengrin. Au fil du texte, Renart ressemble de plus en plus à un homme : il incarne le type du chevalier déloyal qui ne respecte jamais ses promesses et se moque du pouvoir royal.

Manuscrits et éditions : dès la fin du XIIe siècle, les différentes aventures sont rassemblées dans des manuscrits sans ordre logique ni chronologique. La traduction présentée ici est celle du manuscrit 20043 du fonds français de la Bibliothèque nationale, édité par Ernest Martin.

Le Roman de Renart

Petite histoire…

  Le livre au Moyen Âge

À cette époque, le livre est un objet précieux et unique, puisque l’imprimerie n’existe pas. Tous les livres sont donc écrits à la main (d’où le nom de « manuscrit », du latin manus, la « main »). Au début du Moyen Âge, le papyrus, qui était jusqu’alors utilisé, est abandonné pour le parchemin, c’est-à-dire une peau de bête imperméabilisée afin que l’on puisse écrire dessus. Plus souple et plus résistant que le papyrus, que l’on conservait en rouleaux, le parchemin permet la naissance du codex : les feuilles sont pliées puis réunies en cahiers et reliées. La forme du livre moderne est née !

Afin d’être diffusés, les livres sont recopiés par des moines, qui les illustrent souvent avec art. En effet, le copiste utilise la calligraphie (« belle écriture » en grec) et peut choisir différentes formes de caractères. Des enlumineurs décorent les manuscrits par des lettres ornées (lettrines) et par des dessins de couleurs vives, parfois agrémentés de feuilles d’or, qui illustrent l’histoire racontée.

  Du texte original à sa traduction en français moderne

Le texte original est écrit en vers et en ancien français. Voici les premiers vers de « La naissance de Renart » :

Or oiez, si ne vos anuit !

Je vos conterai par deduit

Comment il vindrent en avant,

Si con je l’ai trouvé lisant,

Qui fu Renart et Ysengrin.

Cette langue est une étape intermédiaire entre le latin et le français que nous parlons. Si l’on ne comprend pas tout ce qui est écrit, on retrouve néanmoins plusieurs mots du français moderne (conterai, trouvé lisant) ou des mots qui leur ressemblent (vos/ vous, vindrent/vinrent).

Le Roman de Renart

Pour mieux lire l’œuvre

Au temps du Roman de Renart

Le royaume de France aux XIIe et XIIIe siècles

L’ensemble des branches du Roman de Renart est écrit entre 1174 et 1250. C’est à ce moment-là que le pouvoir royal s’affermit. Quatre rois se succèdent alors, mais c’est surtout le règne de Philippe Auguste (1180-1223) qui marque un tournant important. Il faut savoir que, à cette époque, le royaume ne ressemble guère à la France d’aujourd’hui. Le territoire est morcelé en plusieurs comtés gouvernés par des seigneurs, dont certains sont très puissants, parfois plus que le roi lui-même ! Il arrive souvent que le roi soit en conflit avec certains de ses vassaux. On voit bien cela dans le Roman de Renart : le pouvoir du roi Noble le lion est contesté – voire moqué – par Renart son vassal. Ce dernier va jusqu’à entrer en guerre contre Noble, son suzerain, lors du siège de Malpertuis…

Mais sous Philippe Auguste, le roi va peu à peu affirmer son autorité sur l’ensemble du royaume. Il réduit l’influence de certains seigneurs en limitant leurs droits. Il augmente au contraire les privilèges des bourgeois pour affaiblir les seigneurs, et fait de Paris la capitale du royaume. Les efforts du roi sont aussi dirigés vers l’extérieur : à cette époque, l’Angleterre est la principale rivale du royaume de France et constitue une menace pour le pays. Philippe Auguste entre en guerre contre l’Angleterre et remporte à Bouvines une éclatante victoire. Il récupère ainsi plusieurs provinces et augmente la surface du royaume.

Ses successeurs, Louis VIII et surtout Louis IX (appelé Saint Louis), poursuivent son œuvre. Saint Louis devient très populaire et le roi de France est désormais perçu comme celui qui garantit l’unité du pays, la justice et la paix.

Les croisades

À la fin du « Jugement de Renart », le goupil, afin d’échapper à la pendaison, tente d’amadouer le roi en lui demandant de partir à la croisade. Il cherche ainsi à faire croire qu’il veut se repentir, mais il s’agit en fait d’une nouvelle ruse et il emporte Couart le lièvre !

Cet épisode révèle l’importance des croisades à l’époque. Au Moyen Âge, les chrétiens se rendent en pèlerinage en « Terre sainte », c’est-à-dire en Palestine, et surtout à Jérusalem, la ville où le Christ a été crucifié. Comme la région a été prise par les Turcs, ils ne peuvent plus accomplir cet acte de foi. C’est pourquoi, en 1095, le pape Urbain II prêche la première croisade. Il s’agit d’expéditions militaires destinées à libérer la Terre sainte. Les chevaliers qui partaient en croisade portaient une croix d’étoffe cousue sur leurs vêtements, d’où leur nom de « croisés ». Du XIe au XIIIe siècle furent organisées neuf croisades ! Le roi lui-même y participe parfois, comme par exemple Philippe Auguste qui s’engagea dans la troisième croisade. Saint Louis participa aux septième et huitième croisades, et mourut d’ailleurs au cours de la dernière.

Ainsi, Le Roman de Renart comporte plusieurs allusions à ce phénomène important à l’époque. Par exemple, Renart veut « prendre la croix », et Ysengrin se dit aussi malheureux qu’un homme « fait prisonnier par les Infidèles » (c’est-à-dire ceux qui ne sont pas chrétiens)…

Le « roman » de Renart

Au Moyen Âge, le mot « roman » n’a pas le même sens qu’aujourd’hui. Il désigne alors une œuvre écrite en langue romane, par opposition à un texte écrit en latin. Au tout début du Moyen Âge, le latin « classique » (c’est-à-dire celui que l’on apprend à l’école aujourd’hui) est surtout utilisé à l’écrit, et seulement par les gens instruits. Ce latin écrit diffère du latin que parlent les gens, qui a beaucoup évolué depuis l’Antiquité, comme toute langue orale dont les règles n’ont pas été fixées par un dictionnaire et une grammaire. On appelle cette langue orale « latin vulgaire » (du latin vulgus, « peuple », d’où « latin parlé par le peuple »). Quand elle poursuit son évolution et qu’elle devient une langue vraiment intermédiaire entre le latin et notre français moderne, on la nomme « langue romane », ou « roman », ou encore « ancien français » . Mais comment passe-t-on de la désignation d’une langue à un genre littéraire ? Les auteurs se mettent peu à peu à écrire en roman, afin d’être compris de tous leurs auditeurs, qu’ils soient instruits ou illettrés. Le Roman de Renart fait partie de ces textes écrits en langue romane, d’où son nom de « roman » de Renart. Et en effet, cette appellation ne désigne pas du tout le genre romanesque tel qu’on le rencontre aujourd’hui (long récit en prose d’une histoire inventée). Les aventures de Renart sont écrites en vers et sont souvent très courtes : elles font plutôt penser à des contes.

L’essentiel

À l’époque du Roman de Renart, le royaume de France connaît des changements décisifs. Avec Philippe Auguste, le pays s’unifie et s’affirme face à l’Angleterre. Les grandes croisades rassemblent aussi les chrétiens lors d’expéditions lointaines. Le roman, enfin, se développe et devient, face au latin, la langue de la littérature.

 

L’œuvre aujourd’hui

Quand Renart donne son nom au renard…

Tous les enfants d’aujourd’hui ont entendu parler des ruses de Renart qui joue les pires tours à sa malheureuse victime, Ysengrin le loup… C’est que Le Roman de Renart a connu une très forte popularité qui ne s’est jamais démentie.

Dès l’Antiquité, l’écrivain grec Ésope a l’idée d’utiliser des animaux pour représenter des hommes. Il écrit le premier la fable « Le Corbeau et le Renard », où le goupil est déjà un être trompeur et rusé. Au Moyen Âge, Pierre de Saint-Cloud imagine toute une série d’aventures qui ont pour héros un goupil qu’il décide d’appeler Renart : Le Roman de Renart est né, et c’est le succès ! Deux faits le montrent bien. D’abord, le public réclame des suites : un grand nombre d’auteurs écrivent alors de nouvelles histoires, qu’on appelle « branches » parce qu’elles semblent s’ajouter à un « tronc » . Ensuite, le nom de Renart a une telle célébrité qu’on se met à l’utiliser pour désigner l’animal en général. Renart remplace peu à peu le mot « goupil », et on distingue aujourd’hui le nom propre du nom commun par la dernière lettre (Renart/un renard). Ainsi, Le Roman de Renart a contribué à associer définitivement le goupil à la ruse. Au XVIIe siècle, La Fontaine, avec sa fameuse fable « Le Corbeau et le Renard », reprend bien cette caractéristique et permet à son tour de faire perdurer la célébrité de l’animal.

Mais qu’est-ce qui a tant plu dans les aventures du goupil ? Le plus évident, c’est qu’elles font rire ! Il faut aussi comprendre que le public du Moyen Âge s’amuse également du caractère critique du texte : à travers les animaux, il se reconnaît, et certains défauts des hommes ou de la société sont ainsi mis en évidence. Aujourd’hui, un autre intérêt s’ajoute à cette dimension morale : le lecteur moderne découvre par les aventures de Renart la société médiévale, ses classes sociales, son organisation, ses habitudes…

Un miroir de la société du Moyen Âge

On a souvent qualifié Le Roman de Renart de texte « réaliste », parce qu’il donne, à travers les animaux, une vision assez fidèle de la société des XIIe et XIIIe siècles. En effet, les trois grandes classes sociales du Moyen Âge – les seigneurs, les paysans et les hommes d’Église – sont représentées. On voit ainsi le roi Noble et ses vassaux, comme Renart et Ysengrin, fréquenter des « vilains » (des paysans) ou s’introduire dans des couvents pour jouer des tours aux moines.

Les seigneurs et le système féodal

Dans Le Roman de Renart, les personnages principaux sont des seigneurs appartenant à la cour du roi Noble. Renart, par exemple, possède un château et monte à cheval : d’ailleurs Chanteclerc l’appelle « seigneur Renart » . Qu’est-ce qu’un seigneur au Moyen Âge ? Toute la société médiévale repose sur la féodalité, système hiérarchique fondé sur un lien de fidélité réciproque entre un vassal et son suzerain : un seigneur (le vassal) se met au service d’un autre seigneur (le suzerain) qui, en échange, le protège et lui donne souvent une terre (un fief). Mais ce suzerain est lui-même le vassal d’un seigneur plus puissant, et ainsi de suite. Au sommet de la pyramide, il y a le roi de France. Pour être seigneur, il faut posséder un cheval et un armement complet, car la fonction principale des seigneurs est de faire la guerre.

Dans Le Roman de Renart, Noble le lion est le roi, suzerain suprême, entouré de ses vassaux (appelés aussi ses « barons »). Dans « Le Jugement de Renart » par exemple, ceux-ci montrent leur fidélité au roi en répondant à sa convocation. En échange, Noble doit protéger Pinte la poule qui réclame justice auprès de lui. De son côté, Renart représente le vassal infidèle (le « félon ») qui va trahir son suzerain, allant jusqu’à entrer en guerre contre lui lors du « Siège de Malpertuis » .

Les paysans

La classe des seigneurs subsiste en partie grâce aux paysans qui cultivent leurs terres et paient des impôts. Le Roman de Renart met en scène plusieurs paysans qu’on appelle alors « vilains » (du mot latin villa, la « ferme ») : on rencontre ainsi Constant du Marais, puis, dans l’épisode du « Jugement de Renart », toute une série de vilains qui poursuivent Brun l’ours. En général, les paysans sont très pauvres : l’agriculture est leur seule ressource et la terre n’a pas toujours un bon rendement. Aussi y a-t-il souvent des famines dont les paysans sont les premières victimes. De ce point de vue, Le Roman de Renart n’est pas très représentatif : les paysans ont plutôt l’air aisés ( « messire Constant du Marais, un paysan très riche »), avec des fermes qui regorgent de poules. Renart se dirige logiquement vers ce type de ferme puisqu’il est toujours affamé.

Le clergé

Au Moyen Âge, la population est très croyante et l’Église a une grande importance dans la vie des hommes. Le clergé est composé de deux grands groupes : le clergé séculier (du mot « siècle », parce qu’il rassemble les prêtres qui vivent parmi les hommes, dans le siècle) et le clergé régulier (du mot « règle » , parce qu’il rassemble les moines qui suivent une règle dans un couvent, à l’écart du monde). Le Roman de Renart mentionne surtout les moines : l’animal s’intéresse en effet aux poulaillers des abbayes ! Dans « La Pêche à la queue », Renart prétend même être devenu moine… Les communautés religieuses sont ainsi présentées comme des lieux de richesse où la nourriture abonde. Il s’agit là d’une critique envers une Église qui s’est enrichie et qui a oublié le vœu de pauvreté.

L’essentiel

Lire Le Roman de Renart permet de découvrir la vie quotidienne au Moyen Âge et l’organisation de la société en trois classes : les seigneurs, les paysans et le clergé. En effet, les animaux connaissent des aventures qui renvoient à des réalités de l’époque.C’est sans doute ce qui explique le grand succès de l’œuvre, au point qu’aujourd’hui le mot « renard » a remplacé l’ancien nom de « goupil ».

Le Roman de Renart

LE ROMAN DE RENART

Le Roman de Renart

Le Roman de Renart

Or oiez, si ne vos anuit !

Je vos conterai par déduit

Comment il vindrent en avant,

Si con je l’ai trouvé lisant,

Qui fu Renart et Ysengrin.

Je trovai ja en un escrin

Un livre, Aucupre1 avoit non :

La trovai ge mainte raison

Et de Renart et d’autre chose

Dont l’en doit bien parler et ose.

A une grant letre vermoille

Trovai une molt grant mervoille.

Se je ne la trovasse ou livre,

Je tenisse celui a ivre

Qui dite eüst tele aventure :

Mes l’en doit croire l’escriture.

A desonor muert a bon droit

Qui n’aime livre ne ne croit.

Aucupres dit en cele letre

(Bien ait de Dieu qui l’i sot metre !)

Come Diex ot de paradis

Et Adam et Evain fors mis

Por ce qu’il orent trespassé

Ce qu’il lor avoit commandé.

Pitié l’en prist, si lor dona

Une verge, si lor mostra,

Qant il de rien mestier auroient,

De cele verge en mer feroient.

Adam tint la verge en sa main,

En mer feri devant Evain :

Sitost con en la mer feri,

Une brebiz fors en issi.

Ce dist Adam : « dame, prenez

Ceste brebiz, di la gardez :

 

1.  Aucupre : on ne connaît pas ce texte, peut-être inventé par l’auteur.

LA NAISSANCE DE RENART

ÉCOUTEZ-MOI, s’il vous plaît, je vais vous raconter, pour votre plaisir, qui étaient Renart et Ysengrin, – c’est le fruit de mes lectures, – et comment ils vinrent au monde. J’ai trouvé autrefois, dans un coffre, un livre intitulé Aucupre. J’y ai appris beaucoup de choses, en particulier sur Renart : il n’y a pas de raison de les taire et il faut bien oser en parler. Une grande lettre vermeille1 marquait le début d’un chapitre qui racontait une aventure vraiment surprenante ; si je ne l’avais pas lue, j’aurais cru ivre quiconque me l’eût rapportée. Mais il faut croire ce qui est écrit. Et il est juste que meure déshonoré celui qui n’aime pas les livres et ne leur fait pas confiance.

Aucupre rapporte donc dans ce chapitre (Que Dieu bénisse son auteur !) comment Dieu chassa Adam et Ève2 du Paradis parce qu’ils avaient désobéi à ses commandements, puis comment Il eut pitié d’eux et leur donna une baguette en leur disant qu’ils n’auraient qu’à en frapper la mer dès qu’ils auraient besoin de quelque chose. Alors, Adam, prenant la baguette, frappe la mer sous les yeux d’Ève. Aussitôt, en surgit une brebis.

« Dame, prenez cette brebis et gardez-la bien, dit-il. Elle vous donnera du lait et du fromage pour manger avec notre pain. »

Ève se disait en elle-même que si elle en avait une deuxième, ce n’en serait que mieux. Elle prend donc la baguette et frappe la mer avec force à son tour. C’est un loup qui en sort, il s’empare de la brebis et se précipite au triple galop dans la forêt. Se rendant compte que, si on ne lui vient pas en aide, c’en est fait de sa brebis, Ève pousse de grands cris : « À l’aide, au secours ! » Adam, qui a repris la baguette, frappe la mer avec colère et un chien en bondit aussitôt. À la vue du loup, il se lance à sa poursuite afin de sauver la brebis qu’il réussit à délivrer. C’est bien à contrecœur que le loup la lui abandonne. Mais il recommencerait le lendemain, s’il pouvait l’enlever à nouveau dans les champs ou les bois. En attendant, tout penaud de son échec, il s’enfuit dans la forêt tandis qu’Adam se réjouit d’avoir à lui chien et brebis.

Le livre dit que ces deux bêtes meurent rapidement si elles vivent longtemps loin des hommes. Vous ne sauriez imaginer d’animal plus apte à se protéger de la sorte.

À chaque fois qu’Adam frappait la mer pour en faire sortir un animal, ils3 le gardaient quel qu’il soit et l’apprivoisaient. Mais ils ne pouvaient jamais y arriver avec ceux qu’Ève en faisait surgir ; en effet, sitôt sortis de l’eau, ils rejoignaient le loup au fond du bois. Les bêtes créées par Adam devenaient domestiques, celles créées par Ève, sauvages. C’est ainsi qu’entre autres est né le goupil4. Il était roux comme Renart5 et habile autant que voleur. Son astuce lui permettait de tromper toutes les bêtes qu’il rencontrait. Ce goupil rappelle Renart le maître ès ruses6 ; depuis ce temps-là, on appelle Renart tous ceux que l’artifice7 et la tromperie font vivre. Grâce à Renart et au goupil, ces gens-là en savent beaucoup. Renart savait tromper les hommes tout comme le goupil sait ruser avec les animaux. Ils sont bien de la même race, ils ont la même conduite, le même caractère. Et pareillement, Ysengrin, l’oncle de Renart, était lui aussi, ne l’oubliez pas, grand voleur de jour comme de nuit. Il ressemblait comme un frère à ce loup qui a volé les brebis d’Adam. C’est pourquoi, on a l’habitude d’appeler Ysengrin les voleurs de grand chemin. Ils sont tous les deux, de la même famille, avec même tournure d’esprit et mêmes buts. Et c’est cette ressemblance qui a fait appeler de son côté, le loup, Ysengrin.

Branche XXIV.

 

1.  Une grande lettre vermeille :  dans les manuscrits, les chapitres commencent souvent par une grande lettre pour décorer le livre. Ici, la lettre est rouge.

2.  Adam et Ève :  dans la Bible, Adam et Ève sont chassés du Paradis parce que Ève a mangé un fruit interdit.

3.  Ils :  le chien et la brebis.

4.  Goupil :  ancien nom de l’animal appelé aujourd’hui « renard » .

5.  Renart :  à l’origine, c’est le nom propre du héros. Devenu très populaire, il remplace le nom commun « goupil » et prend alors un « d » à la place du « t » final.

6.  Maître ès ruses :  expert dans le domaine des ruses (« ès » est la contraction de « en les »).

7.  Artifice :  synonyme de ruse, de tromperie.

Le Roman de Renart

LES AVENTURES DE RENART

Renart et Chanteclerc

SEIGNEURS, on vous a déjà souvent raconté de nombreuses histoires : le rapt d’Hélène par Pâris1 et tous les malheurs et les déboires2 qu’il lui en coûta ; vous connaissez aussi la légende de Tristan3 dans le beau récit de La Chèvre, et des fabliaux4 et des chansons de geste5. Et nombreux sont ceux qui vont disant les aventures et les exploits de Renart. Mais on ne vous a jamais parlé de la terrible guerre qui l’opposa à Ysengrin ; et pourtant, elle fut aussi longue qu’acharnée. La vérité, c’est que ces deux seigneurs ne se sont jamais portés dans leur cœur et ont passé leur temps à se battre et à s’affronter.Voici donc leur histoire, et d’abord le début de leur querelle, les raisons de leur mésentente et de leur hostilité.

Un jour, Renart qui, comme d’habitude, était toujours prêt à jouer quelque tour de sa façon et à s’amuser aux dépens d’autrui, se dirigeait vers un hameau situé dans un bois et bien pourvu en poules, coqs, canes, canards, jars et oies. Habitait là, en bordure du hameau, messire Constant du Marais, un paysan très riche, dont la maison regorgeait de tout. On y trouvait abondance de chapons6, et tout autant de viande salée, et de flèches de lard7 le blé non plus n’y manquait pas. Bref, c’était une bonne maison dont les vergers produisaient, de surcroît, des pommes, de belles cerises et quantité d’autres variétés de fruits. C’est donc là que Renart s’achemine, comptant y trouver son affaire. Le jardin était soigneusement clôturé par une palissade de gros pieux de chêne taillés en pointe au pied desquels poussait de l’aubépine. Le père Constant y avait mis ses poules à l’abri. Renart s’y dirige tout droit, reniflant la haie sans un bruit et sans se laisser distraire de sa quête. Mais les buissons d’épines lui opposent un obstacle infranchissable : il ne peut ni ramper dessous, ni sauter par-dessus ; et pourtant, il ne veut pas renoncer aux poules. Accroupi dans le chemin, il se démène, tendant le cou pour mieux voir mais se dit que, s’il saute, les poules le verront et se mettront à l’abri de la haie. Il risquerait aussi de se faire surprendre avant d’avoir rien gagné. En somme, il se demandait bien comment il allait pouvoir s’approcher des poules qu’il voit picorer sous ses yeux. Il avance donc en dodelinant8 de la tête jusqu’à l’angle de la clôture où un pieu brisé lui permet de s’introduire dans l’enclos. Le paysan avait planté des choux devant la brèche. Renart, après s’être faufilé à l’intérieur, s’y dissimule afin de n’être pas aperçu. Mais les poules qui ont remarqué son mouvement se dépêchent de prendre la fuite en gloussant. Pendant ce temps, Monseigneur Chanteclerc le coq, se glissant entre deux pieux, avait marché jusqu’à un tas de fumier, en suivant l’ornière d’un sentier qui longeait le bois. Et le voici qui revient fièrement à la rencontre des poules, paré de plumes jusqu’au bout des ongles et se rengorgeant : 

« Pourquoi courez-vous vers la maison ? »  interroge-t-il.

Pinte, la plus posée, celle qui pondait les plus gros œufs et juchait9 à la droite du coq, le met au courant de ce qui se passe, ajoutant : 

« Nous avons eu peur.

– Pourquoi ? Qu’avez-vous vu  ?

– Je ne sais quelle bête sauvage qui pourrait bien s’en prendre à nous si nous ne déguerpissons pas.

– Ce n’est rien, je vous assure ; n’ayez crainte, restez ici tranquillement.

– Par ma foi, je l’ai vue ; je vous en donne ma parole. J’en suis sûre.

– Mais comment cela  ?

– Comment ? J’ai vu la haie bouger et les feuilles de choux s’agiter ; elle s’y est cachée.

– Cela suffit, Pinte. Allez en paix et faites-moi confiance. Sur ma foi, il n’y a putois ni renard pour oser entrer dans ce jardin. Vous voulez rire. Faites demi-tour. »

Et il retourne à son fumier sans craindre chien ou renard, plein d’assurance et à cent lieues de se douter de ce qui lui pend au nez. Folle tranquillité que la sienne ! Un œil ouvert, l’autre fermé, une patte repliée, l’autre tendue, il se perche sur un toit ; et là, fatigué de chanter et de rester éveillé, il se prend à somnoler.

Chanteclerc se met alors à rêver et fait le cauchemar suivant : quelqu’un s’approche de lui et le force à enfiler une pelisse rousse, dont l’encolure le serre tant qu’il croit étouffer. Il se réveille très effrayé et va raconter son rêve à Pinte, qui l’interprète ainsi : la pelisse représente le goupil qui s’apprête à l’attraper. Chanteclerc se met en colère et refuse de la croire.

Et, persuadé que son rêve est une pure invention de son imagination, il retourne sur son fumier profiter du soleil et se reprend à somnoler. Dès que Renart est sûr, à le voir sommeiller, de ne pas manquer son coup, il s’approche sans attendre davantage avec force précautions, lui, l’ennemi du genre humain, et qui n’est jamais en retard d’un mauvais coup. Il s’avance tout doucement, pas à pas, tapi au sol. Si Chanteclerc lui laisse le temps de le saisir entre ses dents, il aura sujet de le regretter. Aussitôt qu’il est bien en vue du coq, il va pour lui planter les crocs dans le corps, mais, dans son impatience, il manque son coup et Chanteclerc l’esquive10, d’un saut de côté. Reconnaissant Renart, il marque un temps d’arrêt sur le fumier, tandis que le goupil, constatant son échec, se retrouve tout penaud et se demande comment parvenir à tromper Chanteclerc, car, s’il ne le mange pas, il aura perdu son temps.

« Ne te sauve pas, Chanteclerc, n’aie pas peur. Je suis bien heureux de te voir en bonne santé car tu es mon cousin germain. »

Et le coq, rassuré, pousse un joyeux cocorico. Alors Renart :

« Te souviens-tu encore de la façon dont chantait ton cher père, Chanteclin ? Aucun coq ne l’a égalé ; sa voix portait à plus d’une lieue. Quand il chantait, il gardait les yeux fermés et sa voix s’élevait, haute et pure, sans qu’il perde jamais le souffle. Mais il ne voyait pas plus loin que son bec, quand il poussait couplets et refrains.

– Renart, mon cousin, rétorque Chanteclerc, cherchez-vous à me tromper  ?

– Pas le moins du monde, mais chantez donc en fermant les yeux ; nous sommes nés de la même chair et du même sang ; je préférerais perdre une jambe plutôt qu’il t’arrive malheur ; nous sommes trop proches parents.

– Je n’ai pas confiance. Écarte-toi un peu de moi si tu veux que je chante. Tous les voisins alentour entendront ce que vaut mon fausset11. »

Et, Renart, dans un sourire : » Allez-y de bon cœur, chantez, cousin et je verrai si vous êtes le digne fils de mon oncle Chanteclin. »

Sur ce, le coq entonne une chanson d’une voix forte, un œil fermé, l’autre ouvert, car il a grand-peur du goupil et regarde souvent dans sa direction. Et Renart : « Voilà qui ne va pas ; Chanteclin chantait autrement, à longue haleine, les deux yeux fermés. On l’entendait bien dans vingt cours de ferme. »

Chanteclerc, mis en confiance, laisse alors vigoureusement s’exhaler la mélodie12, en gardant les yeux clos.

À cette vue, Renart ne peut plus se tenir. Bondissant de dessous un chou rouge, il l’attrape par le cou et s’enfuit tout joyeux d’avoir fait main basse sur une proie. Pinte, accablée de voir Renart l’emporter, se répand en plaintes douloureuses : « Seigneur, je vous l’avais bien dit, mais vous vous moquiez de moi et vous me traitiez de folle. Pourtant, c’est moi qui avais raison, on le voit maintenant. Vous vous êtes laissé tromper. J’étais bien sotte de vouloir vous mettre en garde car le fou n’a peur qu’une fois pris ! Et maintenant, Renart vous tient et vous emporte. Malheur à moi, je suis comme morte ! Car si je perds mon seigneur et maître, je n’aurai plus de raison de vivre. »

C’est alors que la brave fermière ouvre la porte de l’enclos car c’était le soir et elle voulait faire rentrer ses poules à l’abri. Elle appelle Pinte, Bise et Roussette, mais aucune ne répond : « Que peuvent-elles bien faire » , se demande-t-elle. Elle appelle alors son coq de toute sa voix avant d’apercevoir Renart qui l’emmène ; aussitôt, elle se précipite pour le sauver. Mais le goupil prend le galop. Comprenant qu’elle ne parviendra pas à le reprendre, elle se décide à appeler à l’aide : « Haro, haro13  ! » s’écrie-t-elle à tue-tête.

Les paysans qui étaient en train de jouer à la balle se dirigent du côté d’où viennent les cris et demandent à la fermière ce qu’elle a.

« Ah, quel malheur ! soupire-t-elle.

– Que se passe-t-il  ?

– J’ai perdu mon coq ; le renard l’a emporté.

– Espèce de vieille sotte ! crie Constant. Pourquoi ne l’avez-vous pas repris  ?

– Vous avez tort de parler ainsi, seigneur. Par tous les saints du Paradis, je n’ai pas pu lui mettre la main dessus.

– Pourquoi donc  ?

– Il n’est pas resté là à m’attendre.

– Pourquoi ne pas l’avoir frappé  ?

– Et avec quoi  ?

– Avec ce bâton  !

– Par Dieu, je ne pouvais pas ; il a filé sans demander son reste ; même des chiens ne l’auraient pas rattrapé.

– Par où est-il parti  ?

– Par ici tout droit. »

Les paysans se précipitent en criant  :  « Allez, là, allez. » Renart qui est devant, les entend. Il franchit la palissade d’un saut en passant par la brèche et retombe le cul par terre. Ses poursuivants, qui ont entendu le bruit qu’il a fait en sautant, redoublent leurs cris : 

« Allez, par ici, allez.

– Vite, dépêchez-vous », leur hurle Constant.

Et tous de se précipiter, cependant que Constant appelle son chien, celui qu’on a baptisé Malvoisin.

« Bardou, Travers, Hombaut, Rebours, tous, sus à Renart14 le rouquin ! » 

À force de courir, les paysans arrivent en vue de Renart. « Il est là », crient-ils. Mais Chanteclerc n’est pas tiré d’affaire pour autant, s’il ne trouve pas un moyen de s’échapper.

« Comment, seigneur Renart, vous n’entendez pas les injures que ces paysans crient après vous ? Constant est sur vos talons. Lancez-lui donc une de ces plaisanteries dont vous avez le secret quand il passera par ici. S’il s’écrie : Renart l’emporte ! vous pouvez répondre : "Malgré vous !" Il ne saura plus quoi dire. »

Il n’est si sage qui ne commette un jour une sottise. Et cette fois-là, ce fut au tour de Renart, le maître ès ruses15, de se faire berner16. Il se met à crier à tue-tête : « C’est malgré vous que j’emporte ma part de celui-là ! » Dès qu’il sent la gueule se desserrer, Chanteclerc se sauve à tire-d’aile, se dépêchant de se percher sur un pommier tandis que Renart reste en bas sur un tas de fumier, furieux et fort dépité de l’avoir laissé échapper. Le coq lui rit au nez : « Que pensez-vous de ce bas monde, Renart ? Que vous en semble ? » Le bandit frémit et tremble de rage :

« Vous feriez mieux de tourner sept fois votre langue dans votre bouche avant de parler, dit-il méchamment.

– Que ma volonté soit faite ! répond le coq, que la male goutte17 crève l’œil de qui se met à somnoler au moment où il doit avoir soin de se tenir sur ses gardes. Cousin Renart, ajoute-t-il, on ne peut avoir confiance en vous. La peste soit de votre cousinage : il a bien failli faire mon malheur ! Dépêchez-vous de vous sauver, parjure18 que vous êtes ! sinon, gare à votre pelisse. »

Renart veut ignorer la moquerie : il préfère se taire et s’éloigner en toute hâte, négligeant même de faire halte pour se reposer. Affamé, sans force, il fuit le long d’un sentier au milieu des broussailles, en bordure d’un champ. Dans son accablement, il se lamente d’avoir laissé échapper le coq grâce auquel il avait compté faire bombance19.

Branche II.

1.  Le rapt d’Hélène par Pâris : dans l’Iliade d’Homère, Pâris le Troyen enlève la belle Hélène, femme d’un roi grec, ce qui déclenche la guerre de Troie.

2.  Déboires : échecs, ennuis.

3.  La légende de Tristan : l’une des versions de la célèbre légende de Tristan et Iseult est racontée par Marie de France dans le Lai du chèvrefeuille ( « le beau récit de La Chèvre » ).

4.  Fabliaux : petits récits du Moyen Âge.

5.  Chansons de geste : récits qui racontent les exploits guerriers des chevaliers.

6.  Chapons : volailles châtrées que l’on engraisse.

7.  Flèches de lard : morceaux de viande de porc.

8.  Dodelinant : balançant la tête d’un côté et de l’autre.

9.  Juchait : se tenait en hauteur.

10.  L’esquive : l’évite.

11.  Fausset : voix très aiguë.

12.  S’exhaler la mélodie : Chanteclerc chante à pleins poumons.

13.  Haro, Haro !  : cri par lequel on appelait la foule contre un coupable.

14.  Sus à Renart : « poursuivons Renart pour l’attraper » .

15.  Maître ès ruses : expert dans le domaine des ruses (« ès » est la contraction de « en les »).

16.  Berner : tromper.

17.  Male goutte : maladie douloureuse. Chanteclerc jette ici une malédiction.

18.  Parjure : celui qui n’a pas tenu un serment, une promesse.

19.  Faire bombance : faire un festin.

Renart et la mésange

TANDIS QUE Renart se lamente ainsi, il aperçoit une mésange perchée sur un chêne : l’arbre cachait un creux où elle avait installé ses œufs à l’abri.

« Bonjour, chère amie, descendez donc m’embrasser.

– Il n’en est pas question, Renart. On ne peut être l’ami d’un brigand de votre espèce. Vous avez fait tant de mauvais coups à tant d’oiseaux, à tant de biches, qu’on ne sait plus que penser. Qu’allez-vous devenir ? Le mal vous a tellement corrompu qu’il est impossible de vous faire confiance.

– Dame, aussi vrai que votre fils est mon filleul par son saint baptême, je ne songe pas à mal, je vous assure. Savez-vous pourquoi ? Il est normal que je vous le dise. Monseigneur Noble le lion a fait jurer la paix, et pour longtemps, s’il plaît à Dieu. Dans tout son royaume, il a fait promettre à ses vassaux1 qu’ils la respecteraient et veilleraient à son maintien. Voilà qui réjouit le cœur des petites gens. C’en sera fini des disputes, des procès, des guerres meurtrières à droite et à gauche et les bêtes, grandes et petites, vivront tranquilles !

– Vous cherchez à me tromper, Renart. Allez donc chercher ailleurs, je vous en prie, car, vous aurez beau dire et beau faire, vous ne me convaincrez pas de me laisser embrasser par vous. »

Renart, voyant que sa commère2 ne veut pas le croire, lui, son compère, ajoute :

« Écoutez, dame, puisque vous avez peur de moi, je garderai les yeux fermés pour vous embrasser.

– Dans ces conditions, j’accepte. Fermez les yeux. »

Il obéit, mais la mésange qui ne veut pas se risquer à l’embrasser se saisit d’une pleine poignée de mousse et de feuilles dont elle se met à lui chatouiller le museau. Et Renart, croyant la saisir, n’attrape que la feuille restée accrochée à sa moustache.

« Eh bien ! Renart, s’écrie-t-elle, de quel accord parliez-vous ? Vous auriez eu vite fait de rompre la trêve si je ne m’étais écartée à temps. Vous prétendiez que la paix était chose faite et jurée. Votre roi ne s’est pas entouré de garanties suffisantes. »

Mais le goupil, glapissant3 de rire :

« Allons, c’était une plaisanterie pour vous faire peur. Peu importe ! Recommençons, je fermerai à nouveau les yeux.

– Alors, restez sans bouger. »

Le trompeur s’exécute et la mésange va jusqu’à lui frôler le mufle mais sans le toucher vraiment. Nouveau coup de dent de Renart dans l’espoir de l’attraper ! Peine perdue.

« Jamais plus je ne vous croirai, Renart. Comment faire autrement ! Le diable m’emporte si j’ai encore confiance en vous.

– Vous êtes bien peureuse ! Je voulais vous effrayer et vous mettre à l’épreuve. Je vous assure que je n’y mettais aucune mauvaise intention. Revenez-y encore une fois. Jamais deux sans trois. Au nom des vertus de bonté, de charité, de constance4, debout chère amie ! Par la foi que vous me devez et que vous devez à mon filleul qui chante là-haut sur ce tilleul, scellons notre accord. À tout pécheur miséricorde ! 5»

Mais la mésange, ni folle ni sotte, fait la sourde oreille et ne bouge pas de la branche sur laquelle elle est perchée. Tandis que Renart s’occupe à discourir, voici que des chasseurs, avec valets de chiens et sonneurs de cor, lui tombent sur le poil. À cette vue, stupéfait, il s’apprête à fuir, la queue dressée en arc au milieu des cris que poussent les hommes et des sonneries des cors et des trompes. Il détale, rien moins que rassuré, tandis que la mésange lui crie : « La paix dont vous parliez est donc déjà rompue, Renart ? Où fuyez-vous ? Revenez. »

Il a la sagesse de ne pas s’arrêter pour lui crier ce mensonge :

« On a bien promis-juré, dame, de respecter une trêve, et même de faire la paix. Mais tout le monde n’est pas encore au courant. Ce sont de jeunes chiens qui arrivent ; ils ne se sont pas encore engagés à respecter la paix que leurs pères ont fait serment de garder. Le jour où leurs pères et leurs grands-pères ont promis de la maintenir, ils étaient encore trop petits pour participer à la cérémonie.

– Comme vous êtes soupçonneux ! Croyez-vous qu’ils vont enfreindre la paix ? Revenez donc m’embrasser !

– Le moment me paraît mal choisi.

– Mais puisque votre roi a fait jurer la paix ! »

Sans répondre, Renart s’enfuit par les raccourcis qu’il connaissait bien, mais c’est pour tomber sur un frère convers6 qui tenait en laisse, le long du chemin, deux chiens de chasse de belle taille. Le paysan qui était en tête des poursuivants crie alors au religieux de lâcher les liens : « C’est pour le goupil : il n’ira pas loin. » Paroles qui arrachent un soupir à Renart car il sait bien qu’il passera un mauvais quart d’heure si on l’attrape. Il se voit encerclé par des gens tout prêts, dès qu’ils le tiendront, à l’écorcher à la pointe de leurs couteaux. Il craint fort d’y laisser pelisse et peau si, tout beau parleur qu’il est, il ne parvient pas à faire prévaloir la ruse sur la force. Il y a donc le moine qui flâne et Renart, en arrêt, qui ne peut ni se cacher ni s’échapper : où pourrait-il aller, on se le demande. Et le frère, qui l’a vu, s’approche, menaçant :

« Ha ! Ha ! sale engeance7! vous ne vous sauverez pas.

– Au nom de Dieu, mon père, ne parlez pas ainsi. Un ermite8, un saint homme comme vous doit se garder sur tout de faire tort à personne. Si, vous ou vos chiens vous mettiez en travers de mon chemin, c’est vous qui seriez responsable. Mais c’est moi qui serais perdant – et furieux de l’être –, car ces chiens et moi nous faisons une course sur paris dont les enjeux sont importants. »

Considérant que Renart est dans le vrai, le moine le recommande à Dieu et à saint Julien avant de faire demi-tour. Aussitôt, le goupil éperonne son cheval et reprend la fuite par un sentier qui remonte un vallon à travers champs. Les hurlements qui s’enflent derrière lui, lui font presser l’allure. Puis il saute un large fossé qui longe le chemin, faisant ainsi perdre sa trace aux chiens qui doivent abandonner la partie. Une fois ses poursuivants égarés, Renart ne demande pas son reste, il craint trop les dents des molosses9. Bien sûr, il est fatigué par la longue course qu’il a dû fournir tout le jour, à cause de la malchance qui s’est acharnée sur lui. Mais qu’importe ! Le voilà à l’abri. Il n’empêche ! Quelle épreuve cela a été ! Et il se répand en menaces contre ceux qui s’en sont pris à lui.

Branche II.

1.  Vassaux : dans le système féodal, le vassal est un chevalier qui jure fidélité à un suzerain en échange de sa protection.

2.  Commère/compère : marraine/parrain.

3.  Glapissant : poussant un cri aigu.

4.  Constance : qualité de celui qui est persévérant et fidèle.

5.  À tout pécheur miséricorde ! : la formule exprime ici un souhait, « que l’on pardonne à celui qui a commis une faute ! »

6.  Frère convers : religieux qui s’occupe des tâches domestiques dans un couvent.

7.  Engeance : race jugée méprisable.

8.  Ermite : saint homme qui vit seul et retiré.

9.  Molosses : gros chiens de garde.

Le Roman de Renart

Clefs d’analyse

Action et personnages

1.  Décomposez le nom de Chanteclerc : quelles sont les deux façons de le comprendre ? Pourquoi convient-il bien au coq ? 

2.  Combien d’avertissements reçoit le coq ? Quelle est sa réaction à chaque fois ? Dans l’histoire, qui croit-il et qui ne croit-il pas ? Est-ce logique de la part d’un clerc  ? 

3.  Renart, de son côté, est appelé « l’ennemi du genre humain »  : à qui cette expression vous fait-elle penser ? Quels indices le confirment  ? 

4.  Comment Renart appelle-t-il la mésange ? Est-ce étonnant  ? 

5.  Combien de fois Renart essaie-t-il d’attraper la mésange ? Celle-ci a-t-elle le même caractère que le coq  ? 

6.  Par quel moyen de transport Renart s’enfuit-il à la fin de l’aventure avec la mésange ? À quel personnage médiéval peut-il faire penser  ? 

Genre ou thèmes

7.  À quelles histoires le narrateur compare-t-il les aventures de Renart au début de “ Renart et Chanteclerc ” ? Pourquoi rapproche-t-il son texte de ces célèbres légendes  ? 

8.  Par quels mots l’histoire de Renart et Chanteclerc commence-t-elle véritablement ? À partir de là, repérez les différentes étapes de l’aventure : situation initiale, élément perturbateur, péripéties, élément de résolution et situation finale.

9.  Comment le coq s’y prend-il pour se sauver : sur quel défaut du renard joue-t-il  ? 

10.  À quel endroit le coq dort-il avant de se faire surprendre par Renart ? Où Renart se retrouve-t-il une fois que le coq lui a échappé ? Qu’en déduisez-vous  ? 

11.  Les histoires du coq et de la mésange se ressemblent. Pourquoi  ? 

12.  Pourtant, Renart n’use pas des mêmes ruses pour tromper la mésange : montrez-le. La mésange réagit-elle de la même façon que le coq  ? 

13.  Relevez le champ lexical de la religion dans l’aventure de la mésange. Dans quel but le héros emploie-t-il ce vocabulaire ? Qu’est-ce que cela révèle sur Renart  ? 

Écriture

14.  Imaginez une aventure dans laquelle Renart réussit à se venger de la mésange. Votre récit suivra les étapes du schéma narratif (situation initiale, élément perturbateur, péripéties, élément de résolution et situation finale).

Pour aller plus loin

15.  Cherchez la fable de La Fontaine « Le Coq et le Renard » et comparez-la avec l’histoire de « Renart et la mésange » .

À retenir

Une aventure de Renart repose souvent sur un même schéma narratif. Alors que la faim le tenaille (situation initiale), Renart rencontre un animal (élément perturbateur) qu’il cherche à tromper par différents moyens (péripéties). Un événement l’empêche de satisfaire sa faim (élément de résolution) et le goupil se retrouve obligé de fuir (situation finale). Ainsi, le trompeur est lui-même trompé.

Renart et Tibert

RENART en était à ce point de ses récriminations quand, jetant un coup d’œil autour de lui, il aperçoit, sur son passage, Tibert le chat qui s’amusait tout seul, à jouer avec sa queue, en tournant à grands sauts sur lui-même. Au milieu de ses ébats1, il voit Renart en train de le regarder et le reconnaît à la couleur de son pelage.

 « Seigneur, dit-il, soyez le bienvenu.

– Moi, je ne vous salue pas, fait Renart sur un ton brutal. Gare à vous si vous m’approchez, je serais trop heureux de vous taper dessus. » 

Devant la mauvaise humeur du goupil, Tibert juge plus prudent de ne pas insister. Il se contente de s’approcher de lui et de lui dire d’un ton humble :  « Seigneur, votre colère à mon égard m’attriste. » La faim et la douleur qu’elle lui cause ont rendu Renart irritable, mais il n’a aucune envie d’envenimer la situation car il n’a rien mangé de la journée. Tibert, en revanche, est au mieux de sa forme, la moustache luisante, les dents pointues et acérées, les griffes aiguës, prêtes à sortir : si Renart s’en prenait à lui, il aurait affaire à forte partie. Mais sa peau, déchirée en plus d’un endroit, le détourne d’une telle pensée et le fait changer de langage :  « Tibert, je suis engagé dans une guerre difficile et acharnée contre mon compère Ysengrin ; j’ai donc recruté un grand nombre de soldats ; accepteriez-vous d’en être ? Car, je compte bien le mettre à mal avant de traiter avec lui. » 

La proposition de Renart va droit au cœur de Tibert qui se retourne vers lui pour acquiescer :  « Eh bien ! je vous donne ma parole de demeurer fidèlement à vos côtés dans ce conflit ; j’aurais certes plaisir à faire la guerre à maître Ysengrin qui m’a souvent calomnié2 et fait du tort. » 

Bref, Renart l’a si bien embobiné3 qu’ils arrivent à un accord et s’éloignent de concert4 après s’être juré assistance mutuelle. Mais le goupil, toujours aussi fourbe, n’en continuait pas moins à haïr Tibert et à chercher avec soin toutes les occasions de lui jouer un mauvais tour. C’est ainsi qu’il avise, placé au bord de l’ornière qui marquait la limite entre le bois et un étroit sentier, un piège fait d’un billot5 de chêne fendu et qui avait été posé là par un paysan. Renart est assez malin pour l’éviter, mais il n’a de cesse d’y attirer Tibert, pour lui faire passer un mauvais quart d’heure. Aussi, est-ce d’un air riant qu’il s’adresse à lui :  « Comme vous avez fière allure, Tibert, et comme ce cheval va bien avec vous ! J’aimerais voir ce dont il est capable. Vous devriez le mettre au galop le long de ce chemin qui est tout indiqué pour ce faire avec ce sol égal et meuble6. » En vrai démon, il entreprend de lui faire commettre une imprudence. Ainsi mis au défi, Tibert se prépare, éperonne et pique un galop. Parvenu au niveau du piège, il comprend que Renart cherche à l’y faire tomber ; mais il n’en laisse rien voir, se contentant de faire un écart d’un demi-pied7. Et Renart, qui l’épiait, lui dit :  « Cela ne va pas ! Votre cheval court de travers. » Et tandis que Tibert prend du champ :  « C’est à recommencer, ajoute-t-il, éperonnez-le à nouveau et dirigez-le bien droit.

 « Volontiers, mais qu’entendez-vous au juste par là  ? 

– Ce que j’entends ? Mais que vous le meniez de telle façon qu’il ne dévie pas de sa direction et n’aille pas s’égarer hors du chemin. » 

Tibert se lance alors à bride abattue8 jusqu’au piège et, cette fois, au lieu de le contourner, il le franchit d’un saut. À cette vue, Renart se rend compte que l’autre a compris et qu’il ne parviendra pas à le tromper ainsi. Mais, ne pourrait-il y arriver en lui racontant une histoire ? Il le rejoint donc pour lui déclarer d’un air de mécontentement :  « Il faut bien que je vous le dise Tibert, votre cheval a un défaut qui vous empêchera d’en tirer un bon prix : son allure est irrégulière. » Pour faire pièce9 à ces accusations, Tibert fait plusieurs autres tentatives jusqu’au moment où deux énormes mâtins10, qui se précipitent en aboyant à la vue de Renart, viennent interrompre ses efforts. Les deux compagnons, très inquiets, prennent la fuite en se bousculant sur le sentier tant et si bien qu’ils arrivent à l’endroit où était tendu le piège. Renart le voit et pense pouvoir l’éviter, mais Tibert le serre de près et lui donne au passage un coup du bras gauche ; Renart s’y prend le pied droit, faisant sauter la clavette11. Le mécanisme fonctionne bien : les deux mâchoires se rapprochent de façon à lui coincer la patte pour son plus grand malheur.

Tibert lui a donc rendu la monnaie de sa pièce en le poussant dans ce piège et en l’exposant à recevoir une volée de bois vert. Quel malheur pour lui de s’être acoquiné12 avec ce traître ! Le chat se sauve en criant à pleine voix à l’adresse du goupil pris au piège :  « Renart, Renart, vous, vous restez là mais moi, la peur m’interdit d’en faire autant. Le chat a l’expérience de l’âge, seigneur. Votre ruse ne vous a rien rapporté. Vous allez devoir coucher sur place. Ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire des grimaces. » 

Voilà donc Renart en mauvaise posture car les chiens le tiennent en respect tandis que le paysan qui les suivait, arrive, brandissant une hache. Le coup manque de décapiter le goupil, mais s’abat sur le piège en le brisant ; il en profite pour dégager sa patte que le piège avait fort mise à mal, en la repliant sous son ventre, et pour s’enfuir, trop content malgré la douleur. De se retrouver libre ne lui fait pas perdre la tête pour autant : il se dépêche au contraire de prendre ses jambes à son cou, sous les vociférations13 du paysan qui se retrouve grosjean comme devant14. De leur côté, les chiens ont repris la poursuite en aboyant. Renart n’ose se cacher avant d’avoir traversé tout le bois. Arrivés là, les chiens épuisés s’en retournent bredouilles.

Renart, toujours inquiet, continue à fuir par un chemin de char15 ; sa blessure le cuit douloureusement, mais qu’y peut-il, le malheureux  ? Il a failli y perdre la cuisse écrasée dans le piège. Et puis, il avait eu tellement peur de la cognée16 du paysan ! D’un côté comme de l’autre, il a bien failli y rester et maintenant il va à l’aventure.

Branche II.

 

1.  Ébats : jeux, mouvements du chat.

2.  Calomnié : dont on a dit du mal, en sachant que ces paroles sont des mensonges.

3.  Embobiné : séduit par de belles paroles (familier).

4.  De concert : ensemble.

5.  Billot : gros tronc de bois.

6.  Meuble : léger, qui se laboure bien.

7.  Demi-pied : ancienne mesure, valant 15 centimètres environ.

8.  À bride abattue : à toute vitesse.

9.  Faire pièce : s’opposer.

10.  Mâtins : chiens gros et forts.

11.  Clavette : pièce de bois qui entre dans le mécanisme du piège.

12.  Acoquiné : lié à une personne peu recommandable.

13.  Vociférations : cris.

14.  Qui se retrouve grosjean comme devant : qui n’est pas plus avancé qu’avant.

15.  Chemin de char : chemin assez large.

16.  Cognée : grosse hache.

Renart et Tiécelin

ENTRE DEUX collines, dans une vallée juste au pied d’un tertre1, Renart aperçoit au bord d’un ruisseau, à droite, un coin agréable et peu fréquenté, où un hêtre s’offre à sa vue. Aussi traverse-t-il l’eau pour venir au pied de l’arbre. Après quelques sauts et gambades autour du tronc, il s’allonge sur l’herbe fraîche, s’y roule en s’étirant. Il est descendu à la bonne adresse et n’aurait pas de raison d’en changer s’il trouvait à manger, car le séjour n’y aurait alors que des agréments.

Pendant ce temps, Maître Tiécelin le corbeau qui n’avait rien avalé de la journée, n’avait guère la tête, lui, à se reposer. La nécessité l’avait chassé du bois et il se dirigeait à tire-d’aile vers un enclos, mais en prenant garde de ne pas se faire voir, impatient de livrer combat. Il y voit un bon millier de fromages qu’on avait mis à affiner2 au soleil. Celle qui devait les surveiller était rentrée chez elle. Tiécelin comprend que c’est le moment d’en profiter : il fonce et en saisit un. La vieille se précipite au milieu de la cour pour le récupérer et, visant l’oiseau, elle lui lance force cailloux3 en criant :  « Maudit garçon, tu ne l’emporteras pas  ! » Et le corbeau, voyant qu’elle perd la tête : « Si on en parle, la vieille, vous pourrez toujours dire que c’est moi le voleur ; peu importe que je sois dans mon bon droit ou non. L’occasion fait le larron4. Mauvaise garde nourrit le loup. Surveillez mieux le reste. En tout cas, celui-là, inutile de compter dessus, car j’aurai le plaisir de me faire la barbe avec5. J’ai pris des risques pour m’en emparer. Il était si moelleux, si crémeux ; il avait l’air si goûteux ! Merci pour ce présent d’amour  ! Si je peux le porter jusqu’à mon nid, j’en mangerai bouilli et rôti tout à mon aise. Faites comme moi : allez-vous-en. » 

Il s’en retourne donc et vient se poser tout droit sur l’arbre au pied duquel se trouvait Renart. Il était dit qu’ils devaient se rencontrer ce jour-là, Renart en bas, l’autre en haut. Mais il y avait une différence entre eux, c’est que l’un est en train de manger pendant que l’autre bâille de faim. Tiécelin entame son fromage – qui était encore mou – à grands coups de bec et il en mange du plus crémeux et du plus moelleux n’en déplaise à celle qui avait essayé de s’opposer au vol. Il y va de bon cœur, sans s’apercevoir qu’une miette tombe par terre juste sous les yeux de Renart, qui, comprenant aussitôt de quoi il retourne, hoche la tête et se met debout pour mieux se rendre compte. C’est Tiécelin, son vieux compère, qui est là-haut, un bon fromage entre les pieds. Il l’interpelle familièrement : « Par les saints du ciel, qui va là ? Est-ce vous, mon cher ami  ? Paix à l’âme de votre père, maître Rohart qui était un si bon chanteur ! Je l’ai souvent entendu se vanter d’être le meilleur de France. Et vous aussi, dans votre jeunesse, vous pratiquiez cet art avec assiduité. Savez-vous encore la musique ? Chantez-moi donc une chanson à danser. » 

À ces paroles enjôleuses6, Tiécelin ouvre le bec et pousse un braillement. « C’est bien, dit Renart, vous avez fait des progrès. Mais si vous le vouliez, vous pourriez monter d’un ton. » 

Et l’autre, se remet à brailler, s’en faisant un plaisir. « Dieu, dit Renart, comme votre voix devient claire et pure ! Si vous ne mangiez plus de noix, vous n’auriez pas votre pareil au monde. Chantez donc une troisième fois  !  » Et le corbeau de se remettre à donner de la voix de plus belle, sans se rendre compte que, pendant qu’il s’évertue, sa patte se desserre et laisse tomber le fromage juste sous le nez de Renart. Mais, bien que le goupil brûle d’envie de le manger, il est assez malin pour s’abstenir d’y toucher, car il voulait bien mettre aussi la main, si c’était possible, sur Tiécelin. Il se lève donc, comme pour s’éloigner du fromage qu’il a sous le nez en ramenant à lui son pied – celui qui a été blessé par le piège –, de manière que Tiécelin le voie bien :  « Mon Dieu, dit-il, comme vous m’avez donné peu de joie en cette vie ! Que faire, sainte Marie ? Ce fromage sent si fort ! Sa puanteur va m’achever. Car, ce qui m’inquiète, c’est que le fromage est mauvais pour les blessures, et il ne me dit vraiment rien, puisque la Faculté7 me l’interdit. Ah  ! Tiécelin, descendez pour me délivrer de ce mal. Je n’aurais pas recours à vous si la malchance n’avait voulu que je me casse la jambe l’autre jour dans un piège. Je n’ai pas pu éviter ce malheur et me voilà condamné au repos et à me mettre des emplâtres et des onguents8 jusqu’à ce que je sois de nouveau sur pied. » Ses larmes et son ton suppliant inspirent confiance au corbeau qui descend du haut de l’arbre où il était perché, ce qui va causer sa perte si maître Renart peut l’attraper. Cependant, il n’ose pas trop s’approcher et Renart, comprenant qu’il a peur, s’efforce de le rassurer : « Par Dieu, venez donc ! Quel mal peut vous faire un estropié ?  »  Et il se tourne de son côté. Le sot, trop confiant, ne comprit pas ce qui lui arrivait quand Renart bondit. Le goupil espérait bien le prendre mais il a mal calculé son coup. Seules quatre plumes lui restent entre les crocs. Mais il s’en est fallu de peu que Tiécelin ne se voie bien plus mal récompensé. Malgré son affolement il se met hors de portée d’un saut et s’examine sous toutes les coutures :  « Eh bien ! je n’ai guère fait attention à moi aujourd’hui. Je ne croyais pas qu’il aurait pensé à mal. Ce cochon de rouquin, ce bancal9, il m’a arraché quatre belles plumes de l’aile droite et de la queue. Qu’il aille au diable ! Il n’y a pas là à dire : c’est un menteur, un hypocrite, je l’ai appris à mes dépens  !  »  Devant la fureur de Tiécelin, Renart veut se justifier, mais le corbeau, qui n’a plus aucune envie de discuter, le plante là en lui disant de garder le fromage :  « Vous n’aurez rien de plus de moi. J’étais bien bête de vous faire confiance parce que je vous voyais boiter. » Renart le laisse grogner sans lui répondre et se console avec le fromage. Il ne se plaint que du peu car il n’en fait qu’une bouchée. Mais à la fin de ce repas, il se dit qu’il ne se souvient pas avoir mangé, depuis sa naissance, d’aussi bon fromage. Et comme sa blessure ne s’en porte pas plus mal, il s’en va sans rien ajouter.

Ainsi finit cette affaire et il reprend la route.

Branche II.

 

1.  Tertre : petite colline.

2.  Affiner : achever la maturation du fromage.

3.  Force cailloux : beaucoup de cailloux.

4.  Larron : voleur.

5.  Me faire la barbe avec : me régaler.

6.  Enjôleuses : flatteuses.

7.  La Faculté : les médecins.

8.  Des emplâtres et des onguents : des pommades utilisées pour guérir des maladies.

9.  Ce bancal : ce boiteux.

Le Roman de Renart

Clefs d’analyse

Action et personnages

1.  Tibert est-il une proie pour Renart ? Est-il cependant un ami ? Renart a-t-il une raison de vouloir le tromper  ? 

2.  Que propose Renart à Tibert au début du récit ? Pourquoi son comportement est-il ensuite illogique ? Qu’apprend-on ainsi du caractère de Renart  ? 

3.  Quel personnage intervient à la fin de l’histoire ? Comparez ce dénouement avec celui du récit précédent.

4.  Expliquez pourquoi l’aventure reprend le schéma narratif du « trompeur trompé » .

5.  Dans quel état se trouve Renart à la fin de l’épisode ? Sa situation est-elle pire ou meilleure qu’à la fin du récit précédent  ? 

6.  Dans le récit « Renart et Tiécelin » , quels points communs retrouve-t-on avec « Renart et Chanteclerc »  ? 

Langue

7.  Expliquez l’expression : « Ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire des grimaces. » 

8.  Relevez deux proverbes dans le discours de Tiécelin à la vieille.

9.  Relevez les différents types de phrases présents dans le premier discours de Renart à Tiécelin.

Genre ou thèmes

10.  À quelle classe sociale du Moyen Âge Renart et Tibert semblent-ils appartenir ? Quelle est l’activité essentielle de cette classe ? Relevez les mots qui se rapportent à cette activité.

11.  Quels sont les différents lieux mentionnés au début de l’épisode avec Tiécelin ? Montrez que chaque personnage de l’histoire est lié à l’un de ces lieux.

12.  Quel point commun y a-t-il entre Tiécelin et Renart au début de l’histoire ? Montrez que cet état caractérise aussi Renart au début de son aventure avec Tibert. Quel est donc l’élément qui déclenche l’aventure  ? 

13.  En quoi l’expression « présent d’amour » , utilisée par le corbeau, est-elle comique  ? 

14.  Renart parle très habilement au corbeau : relevez dans ses trois discours les compliments qu’il fait à son interlocuteur et les références à la religion.

Écriture

15.  Racontez une aventure qui, comme « Renart et Tibert » , repose sur le schéma du « trompeur trompé » .

16.  Réécrivez le 3e paragraphe de « Renard et Tiécelin » , en faisant de Tiécelin le narrateur. Votre récit sera donc écrit à la première personne et évoquera les différentes pensées du corbeau.

Pour aller plus loin

17.  Recherchez la fable de La Fontaine « Le Corbeau et le Renard » , puis repérez les points communs et les différences avec l’épisode de « Renart et Tiécelin » .

À retenir

Chaque aventure commence par une quête : trouver quelque chose à manger ou jouer un bon tour à quelqu’un. Renart est donc chaque fois confronté à un animal qu’il espère soit manger, soit tromper.On distingue ainsi deux types de proies : celles, comme Tiécelin, qui sont comestibles (la quête de Renart est alors justifiée par un besoin), et celles, comme Tibert, qui ne le sont pas (la quête de Renart s’avère cette fois gratuite, purement malveillante).

Renart et Hersent

RENART, coupant à travers bois sur une pente broussailleuse, poursuit son chemin, sans s’apercevoir qu’il est en train de s’égarer, jusqu’à une haie qui domine un renfoncement obscur. Ce fut pour lui l’origine d’une bien malencontreuse et coupable aventure où le diable eut sa part : je veux parler de sa querelle avec Ysengrin. Quand il voit la cavité1 creusée dans le rocher, il hésite, puis s’avance pour voir si elle constitue une bonne cachette. Mais, au moment où il descend, il ignore qu’il va se retrouver en plein dans la demeure de maître Ysengrin son ennemi. Dans la grande salle, quatre louveteaux sont couchés auprès de madame Hersent la louve qui nourrit et surveille sa progéniture, donnant à chacun sa part. Elle venait d’accoucher, et, comme elle ne portait pas de voile2, elle peut voir la porte s’ouvrir et, la clarté du jour lui faisant mal aux yeux, elle lève la tête afin d’identifier le visiteur. Renart, qui se faisait tout mince et petit, s’était caché derrière la porte. La vue de son pelage roux, frémissant au moindre mouvement, lui permet de le reconnaître et cette vue la rassure. « Qu’êtes-vous en train d’espionner, Renart ? »  dit-elle avec un sourire engageant. Tout penaud, l’autre était sûr à l’avance de voir les choses tourner à son désavantage. La peur lui ferme la bouche car Ysengrin le déteste. Hersent se met debout, en redressant la tête et l’interpelle de nouveau, lui faisant signe de son doigt mince : « Renart, avec ce poil3, vous ne pouvez être que traître et parjure. Vous n’avez jamais été attentionné à mon égard et vous n’êtes même pas venu me voir. Qu’est-ce donc qu’un compère qui ne rend pas visite à sa commère ? »  Et lui, sous le coup de la peur, ne peut que lui répondre :  « Dame, j’en prends Dieu à témoin : si je ne suis pas venu à l’occasion de votre maternité, ce n’est pas méchanceté ni malveillance de ma part. Au contraire, j’aurais eu plaisir à vous voir, mais Maître Ysengrin espionne toutes mes allées et venues. Je ne sais plus que faire pour éviter la haine de votre mari qui, d’ailleurs, se met dans son tort en agissant ainsi. Que je sois pendu si j’ai jamais commis une action qui justifie sa rancune à mon égard. J’éprouve, prétend-il, de l’amour pour vous ; il va s’en lamenter auprès des amis qu’il a dans ce royaume et il leur a proposé de l’argent pour qu’ils m’outragent et me déshonorent. Mais, dites-moi, à quoi rimerait-il que je vous adresse une requête malhonnête ? Certes, je m’en garderais bien : ce sont là coupables propos. » La colère que lui inspire cette nouvelle fait suer Hersent à grosses gouttes :  « Comment, Renart, voilà ce qu’on dit ? C’est bien à tort qu’on me soupçonne  ! C’est en croyant venger son honneur qu’on fait son malheur. Je n’ai pas honte de le dire, je n’ai jamais pensé à mal ; mais puisque mon mari s’en est plaint, je veux que désormais vous m’aimiez. Revenez souvent me voir, vous serez mon ami de cœur. Prenez-moi dans vos bras, embrassez-moi. Profitez-en, il n’y a personne ici pour nous accuser. » Renart s’approche pour l’embrasser sans dissimuler sa joie et Hersent, qui se plaisait à ce jeu, lève la cuisse. Puis Renart songe au retour, car il craint plus que tout d’être surpris par Ysengrin. Pourtant, avant de partir, il va pisser sur les louveteaux un à un. Il prend tout, mange tout, jette dehors tout ce qu’il trouve, la viande salée aussi bien que la fraîche. Il sort les petits de leurs lits, les insulte et les bat comme s’il était en droit de le faire ; – profitant de ce qu’il est tranquille, – puisqu’il n’a personne à craindre que dame Hersent qui est son amie et ne le dénoncera pas, – il les traite de sales bâtards et part, les laissant en larmes. La louve s’empresse d’aller les cajoler : 

 « Soyez gentils, mes petits, les supplie-t-elle ; et ne faites pas la bêtise de mettre votre père au courant : il n’a pas besoin de savoir que vous avez vu Renart ici.

– Comment diable ?  Nous devrions taire que vous avez reçu Renart le rouquin, notre ennemi mortel, et que vous avez trompé notre père qui avait confiance en vous ? Bien au contraire, s’il plaît à Dieu, une telle honte et tous les mauvais traitements que nous avons subis ne resteront pas sans vengeance. » 

Quand Renart les entend grogner ainsi et se fâcher contre leur mère, il se dépêche de se remettre en route, museau à ras de terre, par peur d’être vu, et de reprendre la poursuite de ses affaires.

C’est alors qu’Ysengrin rentre dans sa tanière. Aussitôt, ses fils lui racontent que Renart l’a fait cocu et qu’il les a insultés. Le loup est fou de rage contre sa femme. Mais Hersent affirme qu’il l’accuse à tort, ce qui calme Ysengrin momentanément. Il jure toutefois de tuer Renart s’il en a l’occasion.

Branche II.

 

1.  Cavité : sorte de grotte.

2.  Elle ne portait pas de voile : au Moyen Âge, les femmes portent souvent un voile. Hersent n’en a pas car elle est seule chez elle.

3.  Avec ce poil : au Moyen Âge, la couleur rousse symbolise la traîtrise.

Le vol des poissons

SEIGNEURS, c’était le temps où la douce saison d’été s’achève et où l’hiver revient. Renart était chez lui mais il avait épuisé ses réserves : il y va de sa vie. Il n’a plus rien à se mettre sous la dent, ni rien non plus pour acheter à manger. La nécessité le met en route. Il progresse avec précaution, pour ne pas être repéré, à la lisière du bois, à travers les joncs du bord de l’eau, et finit par atteindre un chemin empierré où il se tapit, tournant la tête en tous sens sans savoir dans quelle direction se mettre en quête de nourriture. La faim lui mène une guerre sans merci et il se demande avec inquiétude ce qu’il va bien pouvoir faire.

Il se couche alors au pied d’une haie attendant les événements. Or, voici qu’approchent à vive allure des marchands qui convoyaient un chargement de poissons de mer. Ils avaient des harengs frais en quantité (le vent du nord avait soufflé toute la semaine passée), et aussi plein leurs paniers d’autres bons poissons, gros et petits. Leur charrette était en particulier chargée de lamproies1 et d’anguilles qu’ils avaient achetées en route dans les villages. Renart, qui n’a pas son pareil pour tromper les gens, était à une portée d’arc au moins. À la vue de la charrette pleine d’anguilles et de lamproies, il se dépêche de se rapprocher, se cachant pour ne pas être vu, afin d’être mieux en mesure de tromper les marchands. Il se couche au milieu du chemin et voici comment il s’y prend pour les attraper : allongé de tout son long sur une touffe d’herbe, il fait le mort. Lui qui s’y entend à tromper son monde, est là, les yeux fermés, babines retroussées et retenant sa respiration. Vit-on jamais pareille fourberie ? Il reste donc gisant2 à terre tandis qu’arrivent les marchands, sans méfiance. Le premier à l’apercevoir l’examine avant de s’écrier à l’adresse de son compagnon :  « Regarde, c’est un goupil ou un chien. » Et l’autre, qui l’a vu à son tour de répondre :  « C’est un goupil, va le prendre, allez ! Mais fais attention, maudit gars, qu’il ne t’échappe pas ! Il sera bien malin, ce Renart, s’il arrive à sauver sa peau. » 

Suivi de son compagnon, le marchand s’avance rapidement jusqu’à Renart ; ils le trouvent toujours ventre à l’air et le retournent de tous côtés, sans crainte, persuadés qu’ils ne courent aucun risque d’être mordus. Ils évaluent la peau de son dos puis de sa gorge : selon l’un, elle vaut trois sous, mais l’autre renchérit :  « Dieu garde ! À quatre sous, elle serait bon marché. Nous ne sommes pas trop chargés, mettons-le sur notre charrette. Regarde donc comme sa gorge est blanche et sans taches. » 

À ces mots, ils se décident et le jettent sur leur chargement, puis ils reprennent leur chemin sans cacher leur commune satisfaction. « Tenons-nous-en là maintenant » , disent-ils, « mais ce soir, chez nous, nous lui retournerons sa veste3. » 

La plaisanterie leur paraît bonne, mais Renart ne s’en soucie guère car il y a loin entre dire et faire. Couché à plat ventre sur les paniers, il en ouvre un avec les dents et en retire, croyez-moi si vous voulez, plus de trente harengs. Après cela, le panier était quasiment vide, et Renart s’était joyeusement rempli l’estomac sans réclamer sel ni sauge4. Mais avant de s’en aller, il va de nouveau lancer sa ligne, je vous le garantis. Il s’attaque en effet à un autre panier, et, y plongeant le museau, en extrait trois chapelets d’anguilles. Et comme il avait plus d’un tour dans son sac, il passe la tête et le cou au travers puis les arrange de manière à les rejeter sur son dos ; voilà qui lui permet d’arrêter les frais. Mais il lui faut trouver un moyen de descendre à terre sans marchepied. Il s’agenouille pour pouvoir examiner comment calculer au mieux son saut. Puis il s’avance un peu et, prenant appui sur ses pattes de devant, il s’élance du haut de la charrette jusqu’au chemin, emportant son butin autour du cou. Une fois à terre, il crie aux marchands :  « Dieu vous garde ! Me voilà bien servi en anguilles, vous pouvez garder le reste. » À l’entendre, ils n’en croient pas leurs oreilles. « Le goupil  !  » s’écrient-ils. Puis ils sautent sur la charrette, pensant y prendre Renart qui n’avait guère songé à les attendre, ce qui fait dire à l’un deux : « Nous l’avons bien mal surveillé, je crois. »  « Voilà ce que c’est que d’être trop sûr de soi » , s’exclament-ils en levant les mains au ciel. « Nous faisons une belle paire d’imbéciles : ne pas nous être méfiés de Renart ! Il a bien allégé les paniers ; le poids n’y est plus. Il emporte deux chapelets d’anguilles. La peste soit de lui ! Diable de Renart, qu’elles vous restent dans la gorge  !  » 

 « Je n’ai aucune envie de me disputer, seigneurs, dites ce qui vous plaira ! Moi, Renart, je ne vous répondrai pas. » 

Les marchands se précipitent derrière lui, mais ce n’est pas aujourd’hui qu’ils l’attraperont car son cheval est trop rapide. Il file au travers d’un vallon et ne s’arrête qu’une fois arrivé à un enclos. Quant aux marchands, tout penauds, ils abandonnent la poursuite, s’avouant vaincus, et reviennent sur leurs pas.

Pendant ce temps, Renart qui s’était déjà tiré de situations plus difficiles, se dépêche de regagner son château où les siens l’attendent en triste état. Il franchit la barrière ; son épouse, la jeune Hermeline, si courtoise5 et noble, se précipite à sa rencontre, ainsi que Percehaie et Malebranche, les deux frères, qui se jettent au cou de leur père. Celui-ci arrive à petits sauts, le ventre gonflé et rassasié, rayonnant de joie, avec les anguilles autour du cou. Mais, et qui songerait à s’en étonner ? Il commence par fermer la porte derrière lui à cause du butin qu’il apporte.

Voilà donc Renart de retour dans son château. Ses fils lui font bel accueil et lui nettoient les jambes ; puis ils écorchent les anguilles, les coupent en tranches et font des brochettes avec des baguettes de coudrier6 sur lesquelles ils les enfilent. Le feu est vite allumé car ils ont une bonne réserve de bûches ; ils l’activent en soufflant dessus de tous les côtés ; et une fois les tisons transformés en braise, ils y mettent les anguilles.

Branche III.

 

1.  Lamproies : sorte de poissons.

2.  Gisant : étendu.

3.  Sa veste : sa peau.

4.  Sauge : plante aromatique utilisée pour assaisonner.

5.  Courtoise : raffinée, avec des manières dignes de la cour.

6.  Coudrier : noisetier.

La pêche à la queue

PENDANT qu’ils s’occupaient de faire griller les anguilles, se présente Monseigneur Ysengrin qui avait erré un peu partout, depuis le matin, sans rien pouvoir attraper nulle part. Depuis combien de temps n’avait-il rien eu à se mettre sous la dent ! Il finit par traverser un terrain qui venait d’être défriché, tout droit en direction du château de Renart. C’est alors qu’il voit une fumée sortir de la cuisine où était allumé le feu sur lequel les fils de Renart tournaient les brochettes pour les faire cuire. Le loup, sentant cette odeur inhabituelle, se met à renifler et à se pourlécher1. Il serait volontiers allé les aider si on avait voulu lui ouvrir la porte. Il s’approche d’une fenêtre pour voir ce qui se passe à l’intérieur, se demandant s’il pourra y entrer à force de supplications2 ou en faisant appel à l’amitié. Mais il n’aurait guère de chance d’y réussir car Renart n’est pas du genre à accéder à une prière. Aussi s’assied-il sur une souche, les mâchoires douloureuses à force de bâiller de faim. Puis il court de côté et d’autre, regarde à droite, à gauche, sans trouver moyen de se faire ouvrir, lui qui n’a rien à donner, rien à promettre. Il se décide finalement à prier son compère de bien vouloir lui donner, au nom de Dieu, un peu, ou beaucoup, de ce qu’il est en train de manger. Il l’interpelle donc par une ouverture : 

 « Seigneur, mon compagnon, ouvrez-moi la porte, je vous apporte de bonnes nouvelles ; vous verrez, vous aurez sujet de vous en réjouir. » 

Renart le reconnaît à sa voix, mais il fait la sourde oreille. Et Ysengrin, à l’extérieur, que la faim et les anguilles font saliver d’envie, s’étonne et répète : « Ouvrez, cher seigneur  ! » Renart l’interroge en riant : 

 « Qui est là ?

– C’est moi, répond Ysengrin.

– Qui moi ?

– Votre compère.

– Nous avions peur que ce soit un voleur.

– Non, c’est moi, dit Ysengrin, ouvrez.

– Attendez au moins, répond Renart, que les moines qui viennent de se mettre à table aient fini de manger.

– Comment cela  ? Il y a des moines ici ?

– Pas exactement, rétorque Renart, Que Dieu me protège du mensonge ! ce sont des chanoines de l’ordre de Tiron3 et je suis entré dans leur communauté.

– Nom de Dieu ! dit le loup, me dites-vous la vérité ?

– Mais oui, pour l’amour de Dieu.

– Alors, accueillez-moi en tant qu’hôte.

– Vous n’auriez rien à manger.

– Et pourquoi ? Vous n’avez rien ?

– Ma foi, si ! répond Renart, mais laissez-moi vous poser une question : ne seriez-ous pas venu encore pour mendier ?

– Non, je veux voir comment vous allez.

– Impossible.

– Pourquoi donc ?

– Ce n’est pas le moment.

– Dites-moi, n’étiez-vous pas en train de manger de la viande  ? 

– Vous voulez rire.

– De quoi se nourrissent donc vos moines ?

– Pourquoi le taire ? Ils mangent des fromages frais et des poissons à grosses têtes. Saint Benoît nous commande de ne pas nous restreindre davantage.

– Première nouvelle ! J’ignorais tout cela. Mais accordez-moi l’hospitalité car je ne saurais où aller aujourd’hui.

– L’hospitalité ? Il n’en est pas question. Nul, s’il n’est moine ou ermite4, ne peut loger ici. Allez-vous-en ; je vous ai assez vu  !  »

À ces mots, Ysengrin comprend qu’il ne pourra pas entrer chez Renart, rien n’y fera ! Que voulez-vous ? Il se résigne. Pourtant, il lui demande encore :  « Est-ce que c’est bon le poisson ? Donnez-m’en un morceau, rien que pour y goûter. Bienheureuses ces anguilles pêchées et apprêtées pour que vous en mangiez  !  »

Alors, Renart, jamais en reste quand il s’agit de jouer un mauvais tour, prend trois tronçons d’anguille qui rôtissaient sur les charbons. Ils étaient si à point que la chair partait en morceaux. Il en mange un et en porte un autre à celui qui attend à la porte en lui disant : 

 « Approchez, mon compère, et prenez par charité de cette nourriture de la part de ceux qui espèrent vous voir moine un jour.

– Je ne suis pas encore sûr de moi ; mais pourquoi pas  ? Quant à la nourriture, cher seigneur, donnez-la-moi vite. » 

Renart la lui tend, l’autre la prend et n’en fait qu’une bouchée qui le laisse sur sa faim :  « Qu’en pensez-vous ?  »  lui demande Renart. Le gourmand frissonne et tremble, il brûle d’envie : 

 « Comment vous remercier, seigneur Renart ? Mais donnez-m’en encore un morceau, mon cher compère, un seul, pour m’inciter à entrer dans votre ordre.

– Par vos bottes5, reprend Renart, non sans arrière-pensées, « si vous vouliez être moine, je ferais de vous mon supérieur, car je sais bien que tous vous éliraient prieur ou abbé6 avant la Pentecôte7.

– Vous vous moquez de moi  ? 

– Non, cher seigneur, par ma tête, j’ose vous le dire ; par saint Félix, vous feriez le plus beau moine du couvent.

– Aurai-je assez de poisson pour être débarrassé de ce mal qui m’a mis dans un tel état de faiblesse  ? 

– Autant que vous pourrez en manger. Ha ! Faites-vous seulement tonsurer8 et raser la barbe. » 

Ysengrin commence à grogner quand il entend parler d’être tondu.

 « Ne m’en demandez pas plus, compère, et faites vite.

– Tout de suite ; vous allez avoir une belle et large tonsure, dès que l’eau sera chaude. » 

La bonne farce que je vais vous raconter ! Renart laisse l’eau sur le feu jusqu’à ce qu’elle soit bouillante, puis il revient à la porte et fait passer à Ysengrin la tête par un guichet. Le loup tend le cou et Renart – la sale bête ! – qui n’en revient pas de sa sottise, lui jette à la volée l’eau bouillante sur la nuque. Ysengrin secoue la tête en grimaçant : triste mine que la sienne  ! Il recule en criant :  « Je suis mort, Renart  ! Puisse-t-il vous en arriver autant aujourd’hui  ! Vous m’avez fait une tonsure trop large. » 

Mais Renart lui tire une langue d’un demi-pied9 hors de la gueule : 

 « Vous n’êtes pas seul à l’avoir, seigneur. Tout le couvent la porte ainsi.

– Je suis sûr que tu mens.

– Non, seigneur, ne vous en déplaise. D’ailleurs votre première nuit doit être une nuit d’épreuves. Ainsi l’exige la Sainte Règle10.

– C’est très volontiers que je me conformerai en tout à l’usage. Vous auriez tort d’en douter. » 

Renart reçoit sa promesse de ne lui faire aucun mal et de lui obéir en tout. À force de s’y appliquer, il finit par abrutir complètement le loup. Puis il sort par une ouverture qu’il avait pratiquée derrière la porte et va rejoindre aussitôt Ysengrin qui se plaignait lamentablement d’avoir été rasé d’aussi près : il ne lui restait ni poil ni peau. Sans plus discuter, ils se rendent rapidement, Renart en tête, Ysengrin sur ses pas, jusqu’à un vivier11 proche.

On était un peu avant Noël, au moment où on sale le jambon. Le ciel était limpide et scintillant d’étoiles et le vivier dans lequel Ysengrin était supposé pêcher était si bien gelé qu’on aurait pu danser dessus. Il y avait seulement un trou, fait dans la glace par les paysans qui y menaient chaque soir leur bétail boire et se dégourdir les pattes. Ils avaient laissé là un seau. Renart y arrive à bride abattue et se tourne vers son compère.

 « Approchez, seigneur, c’est là qu’il y a profusion de poissons et voici l’outil avec lequel nous pêchons anguilles, barbeaux12 et autres bons et beaux poissons.

– Prenez-le d’un côté, frère Renart, demande Ysengrin, et attachez-le moi solidement à la queue. » 

Renart s’en saisit et le lui noue à la queue de son mieux. « Maintenant, frère, conseille-t-il, il faut rester sans bouger pour attirer les poissons. » 

Il s’installe alors au pied d’un buisson, le museau entre les pattes, pour voir ce que l’autre va faire. Ysengrin est assis sur la glace, tandis que le seau, plongé dans l’eau, se remplit de glaçons de belle façon ; puis l’eau commence à geler autour, et la queue elle-même, qui trempe dans l’eau, est prise par la glace, si bien que lorsqu’Ysengrin entreprend de se relever en tirant le seau à lui, tous ses efforts restent vains ; très inquiet, il appelle Renart car on ne va pas tarder à le voir : déjà le jour se lève. Renart dresse la tête, ouvre les yeux et jette un regard autour de lui.

 « Tenez-vous-en là, frère, dit-il, et allons-nous-en, mon très cher ami. Nous avons pris assez de poissons.

– Il y en a trop, Renart ; j’en ai pris je ne sais combien. » 

Et Renart de lui dire tout net en riant : « qui trop embrasse mal étreint » . C’est la fin de la nuit, l’aube apparaît, le soleil matinal se lève, les chemins sont couverts de neige et Monseigneur Constant des Granges, un riche vavasseur13, qui demeurait au bord de l’étang, est déjà levé, frais et dispos ainsi que toute sa maisonnée. Il prend un cor de chasse, ameute ses chiens et fait seller son cheval. Ses hommes, de leur côté, crient et mènent force tapage. Renart, à ce bruit, prend la fuite et se réfugie dans sa tanière. Ysengrin, lui, se trouve toujours en fâcheuse position, tirant désespérément sur sa queue au risque de s’arracher la peau. Elle est le prix à payer s’il veut s’échapper de là. Tandis qu’il se démène, arrive au trot un valet qui tient deux lévriers en laisse. Apercevant le loup bloqué par la glace et le crâne tondu, il se hâte vers lui et, s’étant assuré de ce qu’il a vu, se met à crier :  « Au loup, au loup, à l’aide, à l’aide  !  »  À ses cris, les chasseurs franchissent la clôture entourant la maison avec tous leurs chiens. Ysengrin est d’autant moins à la fête que Maître Constant qui arrivait derrière eux au triple galop de son cheval s’écrie, en mettant pied à terre :  « Lâchez les chiens, allez, lâchez-les  !  »  Les valets détachent les bêtes qui se jettent sur le loup dont le poil se hérisse, tandis que le chasseur excite encore la meute. Ysengrin se défend de son mieux à coups de crocs : que pourrait-il faire d’autre ? Certes, il préférerait être ailleurs. Constant, l’épée tirée, s’approche pour être sûr de ne pas manquer son coup. Il est descendu de cheval et s’avance de façon à attaquer le loup par-derrière. Il va pour le frapper mais manque son coup qui glisse de travers et le voilà tombé à la renverse, le crâne en sang. Il se relève non sans mal et, furieux, retourne à l’attaque. Ce fut un combat farouche que celui-là. Alors qu’il vise la tête, le coup dévie : l’épée descend jusqu’à la queue qu’elle coupe net, au ras du derrière. Ysengrin en profite pour sauter de côté et pour s’éloigner, mordant l’un après l’autre les chiens qui lui collent aux fesses. Mais il se désespère d’avoir dû laisser sa queue en gage : pour un peu il en mourrait de douleur. Cependant, il n’y a plus rien à faire. Il fuit donc jusqu’au sommet d’une colline, se défendant bien contre les chiens qui le mordent sans cesse. En haut du tertre14, ses poursuivants, épuisés, renoncent. Il reprend sans tarder la fuite à toute vitesse jusqu’au bois, en surveillant les alentours. Arrivé là, il jure bien de se venger de Renart et de ne plus jamais être son ami.

Branche III.

 

1.  Se pourlécher : se lécher les babines en signe de faim ou de gourmandise.

2.  Supplications : fait de supplier quelqu’un.

3.  Chanoines de l’ordre de Tiron : religieux vivant en communauté. Tiron est un ordre religieux rattaché aux cisterciens.

4.  Ermite : saint homme qui vit seul et retiré.

5.  Par vos bottes : juron de l’époque.

6.  Prieur ou abbé : chefs de communautés religieuses.

7.  Pentecôte : fête religieuse se déroulant cinquante jours après Pâques et qui célèbre la descente du Saint-Esprit sur les apôtres.

8.  Tonsurer : raser le sommet de la tête d’un religieux.

9.  Demi-pied : ancienne mesure, valant 15 centimètres environ.

10.  La Sainte Règle : règle que suivent les religieux.

11.  Vivier : pièce d’eau pleine de poissons.

12.  Barbeaux : poissons de rivière.

13.  Vavasseur : vassal d’un vassal, c’est-à-dire seigneur de petite noblesse.

14.  Tertre : petite colline.

Le Roman de Renart

Clefs d’analyse

Action et personnages

1.  Au début du « Vol des poissons » , relevez les différentes phrases ou expressions qui se rapportent à la tromperie de Renart.

2.  Pourquoi les marchands emportent-ils Renart ? À quel proverbe font penser leurs calculs sur sa peau ?

3.  Montrez que l’identité de Renart évolue au fil du texte : où paraît-il le plus animal ? Où paraît-il le plus humain ?

4.  Dans « La pêche à la queue » , quelles raisons a Renart de tromper le loup ? Que peut-on en déduire sur son caractère ?

5.  Par quels mots Ysengrin appelle-t-il Renart ? Qu’espère-t-il ainsi ?

6.  Pourquoi Renart donne-t-il à Ysengrin un peu d’anguille ?

7.  Quel personnage intervient à la fin de l’aventure ? Que nous apprend-il sur la vie des seigneurs au Moyen Âge ?

Langue

8.  Le récit fait alterner l’imparfait et le présent de narration. Réécrivez le 2e paragraphe du  « Vol des poissons » , en mettant au passé simple les verbes conjugués au présent de narration.

9.  Cherchez dans un dictionnaire étymologique l’origine du mot « courtoise » .

Genre ou thèmes

10.  Par quel mot commence « Le vol des poissons »  ? Qui désigne-t-il ?

11.  Dans quelle situation se trouve Renart au début du « Vol des poissons »  ? Comparez-la avec celle du loup au début de l’histoire suivante.

12.  Relevez le champ lexical de la faim dans les deux aventures.

13.  Où Renart habite-t-il ? Comment se présente sa vie familiale ? À quelle classe sociale du Moyen Âge appartient-il ?

14.  Quel mot désigne l’habitat de Renart après l’épisode de la pêche ? Quelle est l’évolution du personnage ?

15.  Relevez dans « La pêche à la queue » un exemple de comique de situation, de comique de mots et de comique de gestes.

16.  Qu’apprend-on dans « La pêche à la queue » sur la vie des moines au Moyen Âge ?

17.  Pour quelle raison Ysengrin accepte-t-il de devenir moine ? Est-ce une bonne raison ?

Écriture

18.  De retour dans sa tanière, Ysengrin raconte à sa femme Hersent le mauvais tour que Renart lui a joué. Il exprime sa souffrance et sa colère tandis que sa femme le plaint. Écrivez ce dialogue.

Pour aller plus loin

19.  Cherchez dans la chanson de geste intitulée La Chanson de Roland un épisode qui raconte une bataille entre deux chevaliers. Montrez ensuite que l’on peut rapprocher ce texte de la fin de « La pêche à la queue » .

À retenir

Dans ces deux aventures, les personnages sont des êtres affamés. Or la famine est l’une des grandes peurs du Moyen Âge. Ici, l’histoire se passe de plus en hiver, la saison de la faim. Le roman se veut donc réaliste. De même, on rencontre des personnages réalistes comme les marchands transportant du poisson ou le vavasseur partant à la chasse.

Ysengrin dans le puits

IL VAUT MIEUX que je vous raconte une histoire qui vous fasse rire car je sais bien qu’en vérité, vous n’avez pas la tête à écouter un sermon1 ou une vie de saint. Ce dont vous avez envie, c’est de quelque chose de distrayant. Faites donc silence, car je suis en train2 et j’ai plus d’une histoire dans mon sac. Vous allez entendre une aventure qui en vaut la peine. On me prend souvent pour un fou, mais j’ai ouï dire3 à l’école : la sagesse sort de la bouche du fou. Inutile d’allonger l’entrée en matière ! Je vais donc vous raconter sans plus tarder un des tours – un seul ! – d’un maître ès ruses4 ; il s’agit de Renart, ce n’est pas moi qui vais vous l’apprendre. Personne n’est capable de le faire marcher alors que, lui, il envoie paître tout le monde ; depuis son enfance, il suit le mauvais chemin. On a beau le connaître, on n’arrive jamais à échapper à ses pièges. Il est prudent, astucieux ; il agit en catimini5. Mais, en ce monde, le sage lui-même n’est pas à l’abri de la folie.

Voici donc la mésaventure qui lui est arrivée. L’autre jour, démuni de tout et tenaillé par la faim, il était en quête de nourriture. À travers prés, labours et taillis6, il va, misérable et furieux de ne rien trouver à manger pour son souper : mais il ne voit rien à se mettre sous la dent. Reprenant alors le trot, il gagne l’orée du bois où il s’arrête, bâillant de faim, s’étirant de temps à autre, tout maigre, décharné, et ne sachant que faire : c’est que la famine règne dans tout le pays. Ses boyaux se demandent bien dans son ventre ce que font ses pattes et ses dents. Torturé par la faim, il ne peut retenir des gémissements de détresse et de désespoir. « Mais à quoi bon attendre, là où il n’y a rien à prendre ?  »  se dit-il. Sur ce, il parcourt tout un arpent7, sans ralentir, en suivant un sentier, ce qui l’amène à un chemin de traverse. Tendant le cou, il aperçoit dans un enclos tout près d’un champ d’avoine, une abbaye de moines blancs8 avec une grange attenante9 qu’il décide de prendre pour cible. Elle était solidement construite avec des murs en pierre grise fort dure – vous pouvez m’en croire – et entourée d’un fossé aux bords escarpés : impossible de s’introduire dans un lieu si sûr pour y voler. Et pourtant, ce ne sont pas les victuailles10 qui y manquent ni en quantité ni en qualité. Quelle grange alléchante, et dont beaucoup ignorent jusqu’à l’existence. Et justement elle regorge des mets préférés de Renart : poules et chapons11 engraissés à point. Il dirige donc sa course de ce côté, s’avançant au milieu du chemin, impatient de passer à l’attaque. Pas question de traîner avant d’être arrivé à la portée des chapons. Il ne s’arrête que devant le fossé, tout prêt de se jeter sur les poules et à empocher son gain. Mais là rien à faire ; il a beau tourner autour de la grange au pas de course, il ne trouve ni passerelle, ni planche, ni ouverture. C’est à désespérer ! Cependant, tapi au pied de la porte, il constate qu’une petite trappe entrouverte laisse un passage qui lui permet de se faufiler à l’intérieur. Le voilà dans la place, où d’ailleurs sa situation n’est pas sans danger, car, si les moines s’aperçoivent du mauvais tour qu’il veut leur jouer, ils le lui feront payer cher en le gardant lui-même en otage, tant il y a de malice en eux. Qu’importe ! qui ne risque rien n’a rien ! Renart s’introduit donc dans l’enclos et s’approche des poules tout en tendant l’oreille par peur d’être surpris – car il sait bien l’imprudence qu’il commet. La crainte d’être aperçu va même jusqu’à lui faire faire demi-tour : il ressort donc de la cour et regagne le sentier où il reste un moment dans l’expectative12, mais, le besoin fait trotter la vieille13 et la faim qui continue à le tenailler le pousse à revenir sur ses pas pour essayer de s’emparer des poules coûte que coûte. Le voilà donc de nouveau à pied d’œuvre. Il pénètre dans la grange par-derrière, en faisant si peu de bruit que, ne s’apercevant de rien, les poules ne bougent même pas. En voici trois, perchées sur une poutre, qui n’ont plus longtemps à vivre. Notre chasseur grimpe sur un tas de paille pour saisir ses victimes entre ses dents, mais ces dernières, sentant bouger la paille, sursautent et vont se tapir dans un coin. Renart les y poursuit, les accule une par une dans l’encoignure14 et les étrangle toutes les trois. Les deux premières lui permettent d’avoir sujet de se lécher les babines sur-le-champ, quant à la troisième, il a l’intention de la faire cuire. Aussi, comme, après avoir mangé, il se sent mieux, il entreprend de sortir de la grange en l’emportant. Mais au moment de passer la porte, notre maître ès ruses, poussé par la soif et voyant le puits au milieu de la cour, s’y précipite pour y boire tout son saoul, mais il va en être empêché : en effet, arrivé au puits, il constate qu’il est large et profond. Et voici où l’histoire se corse15 : il y avait deux seaux dont l’un montait lorsque l’autre descendait. Renart le malfaiteur s’appuie sur la margelle16, mécontent, irrité autant qu’embarrassé de ce contretemps. Regardant à l’intérieur, il voit son reflet dans l’eau et croit qu’il y a là au fond sa femme Hermeline qu’il aime tendrement. Aussi, rempli d’une douloureuse surprise à cette vue, il lui demande d’une voix forte : « Que fais-tu là-dedans, dis-moi ?  »  Sa voix résonne comme si elle sortait du puits. En l’entendant, il redresse la tête et appelle de nouveau. Le même phénomène se répète à son grand étonnement. Il saute alors dans le seau sans comprendre ce qui lui arrive quand il se met à descendre. Le malheureux ! Ce n’est qu’une fois tombé à l’eau qu’il se rend compte de sa méprise.

Le voilà aux cent coups de sa vie ! Il a fallu que le diable s’en mêle pour qu’il en arrive là ! Il se tient agrippé à une pierre, mais il préférerait être mort et enterré ! Le pauvre ! Il est à rude épreuve : trempé jusqu’aux os, il est certes bien placé pour aller à la pêche, mais il n’a pas la tête à rire et se demande comment il a pu commettre une pareille bêtise.

Or, cette nuit-là, juste au bon moment, Ysengrin, poussé par la faim, sortait d’un champ pour chercher à manger. De fort méchante humeur, il se dirige au grand galop vers le logis des moines, mais sans rencontrer aucune occasion favorable. « Diable de pays  ! » se dit-il, « où on ne trouve rien de bon à se mettre sous la dent et même... rien du tout » . Sans hésiter, il court vers le guichet17 et arrive au trot devant la maison. Sur son chemin, se trouve le puits au fond duquel Renart le rouquin se débat. Ysengrin, partagé entre le souci et l’irritation, va s’accouder à la margelle. Et là, en se penchant et en regardant avec attention exactement comme avait fait Renart, il aperçoit son propre reflet. Il croit que c’est dame Hersent qui est installée là au fond, avec Renart, ce qui, vous pouvez m’en croire, n’améliore pas son humeur : « Me voilà donc bafoué18, déshonoré comme un moins que rien par ma femme que ce rouquin a enlevée pour l’emmener là avec lui. Ah ! le traître ! le bandit ! Abuser ainsi de sa commère, sans que j’aie pu intervenir ! Mais si je le tenais, je me vengerais si bien de lui que je n’aurais plus jamais à le craindre. Sale pute, espèce de salope, je t’y prends avec Renart » , s’écrie-t-il à pleins poumons à l’adresse de son reflet. Et il se reprend à hurler tandis que sa voix résonne au fond du puits. Devant les lamentations d’Ysengrin, Renart ne bronche pas ; il lui laisse au contraire tout le temps de crier avant de l’interpeller :

 « Qui est-ce, mon Dieu, qui m’appelle ? C’est ici désormais que je tiens mon école19.

– Mais qui es-tu ?

– C’est moi, votre bon voisin ; autrefois, nous étions compères et compagnons. Vous m’aimiez plus qu’un frère. Maintenant, on m’appelle feu20 Renart qui fut le roi de la ruse et du mauvais tour.

– Voilà qui va mieux ! Mais depuis quand es-tu donc mort, Renart ?

– Depuis quelque temps. Mais pourquoi s’en étonner ?  Ainsi mourront également tous les vivants. Il leur faudra passer de vie à trépas21 le jour qu’il plaira à Dieu. Notre Seigneur qui m’a délivré de cette vie de douleur garde maintenant mon âme. Je vous supplie, très cher compagnon, de me pardonner de vous avoir mis en colère l’autre jour.

– Bien sûr ! Je vous l’accorde. Recevez mon pardon, cher compère, ici devant Dieu. Mais votre mort m’attriste.

– Moi, je n’en suis pas mécontent.

– Tu t’en réjouis ?

– Mais oui ?

– Et pourquoi donc, cher compère, dis-moi ?

– Parce que si mon corps est dans le cercueil auprès d’Hermeline dans ma tanière, mon âme est en Paradis, assise aux pieds de Jésus. Ici, il ne me manque plus rien, mon ami ; mais c’est que je n’ai jamais péché par orgueil. Alors que toi, tu es au royaume de la terre, moi, je suis au ciel. Ici, ce ne sont que champs, bois, plaines, prairies. Quelle abondance ! Ah ! Si tu pouvais voir tous ces troupeaux, ces brebis, ces chèvres, ces bœufs, ces vaches, ces moutons, ces éperviers, ces autours22, ces faucons  ! » 

Ysengrin jure par saint Sylvestre qu’il voudrait y être.

 « Un moment ! fait Renart, vous ne pouvez pas y entrer comme ça. Le Paradis est un lieu spirituel qui n’est pas donné à tous. Toute ta vie, tu as été fourbe, traître, menteur, trompeur. Tu n’as pas eu confiance en moi au sujet de ta femme. Et pourtant, j’en prends à témoin le Dieu Saint, je n’ai jamais couché avec elle et je ne lui ai jamais manqué de respect. Tu as dit que j’avais traité tes fils de bâtards : l’idée ne m’en est même pas venue. Par le Seigneur qui m’a créé, c’est la vérité que je te dis.

– Je te crois et je ne t’en veux plus, sans arrière-pensée ; mais fais-moi entrer.

– Pas question ! Nous ne voulons pas avoir d’ennui. Vous voyez cette balance ?  » 

Seigneurs, écoutez la suite : c’est à n’en pas croire ses oreilles. Du doigt, Renart montre le seau au loup et parvient, à force d’adresse, à le persuader qu’il s’agit de la balance qui sert à peser les bonnes et les mauvaises actions : 

 « Par Dieu le Père, qui est Pur Esprit et Toute-Puissance, quand le bien pèse assez, celui qui est assis sur le plateau descend jusqu’ici, et tout le mal qu’il a commis reste en haut. Mais personne ne pourra jamais descendre sans s’être confessé, je te le dis en vérité. As-tu avoué tes péchés ?

– Oui, à un vieux lièvre et à une chèvre barbue, dans un esprit de sincérité et de sanctification23. Fais-moi vite entrer, compère. » 

Renart se prend à le regarder : « Alors, il vous faut adresser à Dieu de ferventes prières pour qu’il vous pardonne en vous accordant la rémission de vos péchés24. À cette condition, vous pourrez être admis ici.

Ysengrin, plein d’impatience, se tourne cul à l’est, tête à l’ouest25 et commence de chanter à tue-tête. Renart, – il n’a pas fini de nous étonner, celui-là – se trouvait au fond du puits, dans le seau où il était entré, poussé par le diable assurément. Quand Ysengrin lui dit qu’il a terminé sa prière, il répond que, de son côté, il a achevé son action de grâces26, ajoutant : « Vois-tu le miracle de ces cierges qui brûlent devant mes yeux, Ysengrin ?  Dieu t’accordera son pardon et te remettra généreusement tes péchés. » 

Sur quoi, Ysengrin fait descendre le seau jusqu’à la margelle et saute dedans à pieds joints. Comme il était plus lourd que Renart, il descend et voici leur dialogue : 

 « Pourquoi t’en viens-tu, compère ?  »  demande Ysengrin. Et Renart de lui répondre : « Ne fais pas cette tête-là, je vais te dire : l’un vient, l’autre s’en va. C’est l’usage. Moi, je monte au Paradis, tandis que toi, tu descends en enfer. Toi, tu vas au diable et moi, je lui ai échappé. Tu es tombé au trente-sixième dessous27 et moi, je m’en sors. Te voilà renseigné. Par Dieu le Père et le Saint-Esprit, en bas c’est le séjour des démons. » 

Sitôt pied mis à terre, Renart se réjouit fort de sa victoire. Mais c’est au tour d’Ysengrin de se trouver en fâcheuse posture. Eût-il été fait prisonnier par les Infidèles28 qu’il ne serait pas plus à plaindre qu’il ne l’est au fond de son puits.

Seigneurs, apprenez que les moines s’étaient rendus malades en mangeant des fèves germées et trop salées. Et leurs domestiques, par paresse, avaient laissé le couvent manquer d’eau. Mais le cuisinier, qui était responsable des vivres, avait repris assez de forces au cours de la matinée pour se rendre au puits d’un bon pas avec trois compagnons et un âne. Ils attachent l’animal à la corde de la poulie pour qu’il puise l’eau, ce qu’il entreprend de faire avec ardeur, houspillé29 qu’il est par les moines. À son grand dam30, le loup était toujours en bas dans l’autre seau où il s’était glissé. Mais l’âne n’était pas de force, si bien qu’il ne pouvait ni avancer ni reculer malgré tous les coups qu’il recevait ; jusqu’au moment où un moine appuyé sur la margelle, se penche pour regarder au fond. Voyant Ysengrin, il crie aux autres : « Savez-vous ce que vous êtes en train de faire, par Dieu le Père Tout-Puissant ? C’est un loup que vous remontez du puits  ! »

Et aussitôt, les voilà tous qui prennent leurs jambes à leur cou et courent, affolés, jusqu’au couvent, laissant l’âne attaché à la corde ; mais le martyre31 d’Ysengrin n’est pas fini pour autant. Les frères appellent des serviteurs ; cela ne va donc pas s’arranger pour le loup. L’abbé saisit une grosse massue noueuse et le prieur32 un chandelier. Tous les moines sans exception sortent du couvent, bâtons ou épieux en main, et se dirigent vers le puits, décidés à ne pas y aller de main morte. En ajoutant leurs forces à celles de l’âne, ils parviennent à faire remonter le seau jusqu’à la margelle. Ysengrin, sachant bien comment il va être accueilli, bondit aussi loin qu’il peut. Mais les chiens qui le talonnent lui lacèrent sa pelisse33 en faisant voler des touffes de poil. Puis les moines le rattrapent et se mettent à le rouer de coups. L’un d’eux l’atteint en plein sur les reins. Il passe un mauvais quart d’heure, s’évanouissant à quatre reprises. Finalement, à bout de force et de résistance, il s’étend sur place et fait le mort. C’est alors qu’arrive le prieur (que Dieu le maudisse !), son couteau à la main, pour écorcher l’animal. Il allait l’achever quand l’abbé intervient : « Laissez ! Sa peau n’en vaut pas la peine, tant elle a été mise en pièces par les coups que nous lui avons portés. Il ne fera plus la guerre et la terre vivra en paix. Rentrons. Ne vous occupez plus de lui. » 

Ysengrin se garde bien de bouger. Tous les moines, toujours l’épieu à la main, retournent au couvent. Et quand le loup, tout meurtri, constate qu’il n’y a plus personne, il se sauve à grand-peine, tant son dos le fait souffrir. Il parvient jusqu’à un buisson, mais sans pouvoir aller plus loin à cause de la correction qu’il vient de recevoir. Et voici son fils qui survient par hasard : 

 « Qui vous a fait cela, mon cher père ?

– C’est Renart qui m’a trahi, mon fils. Par le Dieu de Vérité, il m’a fait tomber dans un puits. Je ne m’en remettrai jamais. » 

À ces mots, son fils, indigné, jure par la Passion de Dieu34 que, s’il peut le tenir, Renart aura sujet de s’en repentir : « Si je mets la main dessus, je vous le jure, il ne m’échappera pas vivant. Il a couché, sous mes yeux, avec ma mère, il a pissé sur mon frère et sur moi, il n’aura que ce qu’il mérite : la mort. » 

Ysengrin regagne alors sa tanière et fait appeler des médecins pour se soigner. À force de manger le gibier qu’on chasse pour lui, il finit par retrouver santé et vigueur ; et si Renart franchit les limites de son territoire, soyez assurés qu’Ysengrin ne le manquera pas.

Branche IV.

 

1.  Sermon : discours religieux pour instruire les fidèles.

2.  En train : en forme.

3.  Ouï dire : entendu dire.

4.  Maître ès ruses : expert dans le domaine des ruses (« ès » est la contraction de « en les »).

5.  En catimini : en cachette.

6.  Taillis : sorte de petit bois.

7.  Arpent : ancienne mesure.

8.  Moines blancs : moines appartenant à l’ordre cistercien.

9.  Attenante : qui touche l’abbaye.

10.  Victuailles : nourriture.

11.  Chapons : volailles châtrées que l’on engraisse.

12.  Dans l’expectative : dans l’attente.

13.  Le besoin fait trotter la vieille : proverbe signifiant que la faim fait accomplir des actions étonnantes.

14.  Encoignure : coin.

15.  Se corse : se complique.

16.  Margelle : bord du puits.

17.  Guichet : ouverture.

18.  Bafoué : outragé.

19.  Que je tiens mon école : que j’enseigne.

20.  Feu : mort depuis peu.

21.  Trépas : mort.

22.  Autours : oiseaux de proie.

23.  Dans un esprit […] de sanctification : conformément à la loi divine.

24.  Rémission de vos péchés : fait de pardonner les fautes de quelqu’un.

25.  Cul à l’est, tête à l’ouest : Ysengrin prie à l’envers (Jérusalem se trouve à l’est).

26.  Action de grâces : témoignage de reconnaissance.

27.  Au trente-sixième dessous : dans la situation la pire.

28.  Infidèles : nom donné à l’époque aux musulmans.

29.  Houspillé : maltraité.

30.  À son grand dam : à son désespoir.

31.  Martyre : supplice.

32.  Prieur : supérieur dans un couvent.

33.  Lacèrent sa pelisse : déchirent sa peau.

34.  Passion de Dieu : supplice de Jésus au moment de la crucifixion.

Le Roman de Renart

Clefs d’analyse

Action et personnages

1.  Le narrateur annonce qu’il va raconter « la mésaventure » qui est arrivée à Renart. Est-ce finalement le cas  ? 

2.  Montrez que la situation initiale est la même que dans les épisodes précédents. À quelle réalité de l’époque renvoie-t-elle  ? 

3.  Après avoir recherché ce que signifient les mots « parjure » et « blasphème » , dites à quel moment Renart commet ces deux péchés.

4.  À quels indices voit-on que le loup est aussi impie que Renart  ? 

5.  Quel animal ennemi du loup et du goupil intervient à la fin de cette histoire ? Est-ce la première fois ? En vous reportant à « La naissance de Renart » , expliquez à quoi correspond cette opposition.

6.  Comme dans l’histoire précédente, ce sont les hommes qui frappent le loup. Pourquoi Renart n’attaque-t-il pas lui-même son adversaire  ? 

7.  Par quelle ruse Ysengrin parvient-il à échapper aux moines ? Quel autre personnage a déjà utilisé cette ruse  ? 

Langue

8.  Quelles sont l’origine et la signification du mot « malice »  ? Pourquoi le narrateur rapporte-t-il ce terme aux moines  ? 

9.  Recherchez des exemples des trois valeurs du présent dans cet épisode : présent de l’énonciation, présent de vérité générale et présent de narration.

10.  Dans le passage de dialogue avec Ysengrin , repérez les ronoms personnels renvoyant au locuteur et à l’interlocuteur. Que remarquez-vous  ? 

Genre ou thèmes

11.  À qui le narrateur s’adresse-t-il au début de l’histoire ? Trouve-t-on ce type d’adresse dans les romans d’aujourd’hui ? Pourquoi  ? 

12.  Quels sont les deux buts de l’auteur qui raconte cette histoire  ? 

13.  Quelles sont les caractéristiques de l’abbaye que trouve Renart  ? Cette richesse vous paraît-elle conforme au vœu de pauvreté que font les moines  ? 

14.  Les moines apparaissent-ils sympathiques dans cet épisode ? Quels sont leurs différents défauts ? Montrez que le narrateur fait ici la satire des moines (voir « Outils de lecture »  pour la définition du mot « satire » ).

15.  Quelle vision du paradis a Renart ? Est-ce étonnant ? Montrez qu’Ysengrin est stupide de croire que le paradis se trouve au fond du puits.

Écriture

16.  Résumez cet épisode en une quinzaine de lignes en respectant bien les différentes étapes de l’aventure. Imaginez un autre dénouement à cette histoire.

Pour aller plus loin

17.  Recherchez comment était organisée la vie d’un couvent au Moyen Âge. Quels étaient les principaux ordres religieux à l’époque  ? 

À retenir

Les fables et les contes ont souvent une dimension morale : c’est aussi le cas des aventures de Renart. Ici, le narrateur critique certains aspects de la société médiévale : par exemple, il fait la satire des couvents et des moines. Il critique la richesse de leurs abbayes mais aussi leur gourmandise, leur lâcheté, et même leur manque de foi véritable !

Tibert et l’andouille

Alors que Renart s’est mis en route dans l’espoir de trouver quelque chose à manger, il rencontre Tibert le chat, dont il garde un bien mauvais souvenir depuis que celui-ci l’a poussé dans le piège. Mais Renart décide d’oublier cette affaire et propose un pacte à Tibert : plutôt que de se faire la guerre, ils vont désormais s’entraider. Ils s’engagent ainsi l’un envers l’autre.

TOUS LES DEUX prennent le même chemin, l’estomac dans les talons1. Mais, par un hasard extraordinaire, voilà qu’ils trouvent une grosse andouille, tout près du chemin, dans un chemin labouré. C’est Renart qui s’en saisit le premier, mais Tibert intervient : 

« Que Dieu me protège, Renart, mon cher ami ! J’en veux ma part.

– Bien sûr ! Qui parle de vous l’enlever ? Ne vous ai-je pas juré loyauté ? Tibert n’a guère confiance dans les serments de maître Renart : 

– Eh bien ! mangeons-la, ami.

– Ah non ! Ici nous ne serions pas tranquilles ; il faut l’emporter plus loin.

– D’accord, répond Tibert, quand il comprend qu’il n’y a rien d’autre à faire, car Renart était toujours maître de l’andouille. Il la tient entre ses dents par le milieu de sorte qu’elle pend des deux côtés. Et le chat qui s’inquiète fort de le voir l’emporter se rapproche pour lui dire : 

– Quel maladroit vous faites ! Ne voyez-vous pas que vous allez toute la salir à vous y prendre ainsi ? Vous la traînez dans la poussière et vous bavez dessus : j’en suis écœuré et je vous assure que, si vous la portez encore longtemps comme ça, je vous la laisserai tout entière. Moi, à votre place, je m’y prendrais autrement.

– Et comment  ? 

– Passez-la-moi, je vais vous faire voir. D’ailleurs, il est juste que je vous en décharge, puisque c’est vous qui l’avez vue le premier. » 

Renart n’a garde de l’en empêcher, se disant que si l’autre s’en charge, il se fatiguera plus vite et aura moins de défense. Il la lui remet donc. Tibert tout heureux, s’en saisit délicatement et, la tenant par une extrémité dans sa gueule, la balance avec adresse de manière à la faire retomber sur son dos. Puis, se retournant vers Renart : 

« Voilà comment faire, compagnon, pour la porter sans qu’elle touche terre et sans la salir avec ma bouche. Je ne la tiens pas n’importe comment. Elle en vaut bien la peine. Nous allons maintenant gagner ce monticule2 que je vois là, surmonté d’une croix, et nous y mangerons notre andouille ; nous ne l’emporterons pas plus loin et nous la consommerons sur place : j’y tiens ; nous n’aurons rien à craindre car nous pourrons voir de tous les côtés venir ceux qui nous voudraient du mal. Le mieux est donc de nous y rendre. » 

Tout cela aurait été égal à Renart s’il n’avait vu Tibert s’enfuir à toute allure jusqu’à la croix. Lorsqu’il comprend la ruse du chat : 

« Attendez-moi donc, compagnon, lui crie-t-il à plein gosier sur le ton de la colère.

– N’ayez pas peur, Renart. Il n’y aura que des avantages ; suivez-moi vite. » 

Tibert n’avait pas besoin de leçons pour monter ou descendre ; il s’accroche de ses griffes à la croix, grimpe à toute vitesse jusqu’en haut et s’assied sur l’un des bras. Renart se retrouve tout marri3 et comprend que l’autre s’est moqué de lui.

« Qu’est-ce que vous faites, Tibert  ? 

– Tout va bien, montez et nous mangerons.

– Ce ne serait pas sans mal ; descendez plutôt. Je risquerais trop de me blesser si je devais monter là-haut ! Soyez honnête avec moi ; lancez-moi ma part et je vous tiendrai quitte.

– Que me dites-vous là, Renart ? Ma parole, vous avez bu. Je ne le ferais pas pour cent livres4. Vous devriez bien savoir la valeur de cette andouille. C’est là Sainte Nourriture. On ne doit la manger que sur une croix ou à l’église, car il faut la traiter avec respect.

– Cela ne fait rien, mon bon Tibert. Il y a trop peu de place là-haut pour que nous y tenions tous les deux. Si vous ne voulez pas descendre, ce n’est pas une raison pour m’oublier. Allons, mon ami, rappelez-vous : vous m’avez juré un compagnonnage5 loyal. Or lorsque des compagnons sont ensemble, chacun doit avoir sa part de tout ce que l’un ou l’autre trouve. Si vous ne voulez pas être parjure6, partagez cette andouille et jetez-m’en ici ma part. Je prends le péché sur moi.

– Pas question, répond Tibert. Comment pouvez-vous parler ainsi, compagnon Renart ? Vous êtes pire qu’un hérétique7. Jeter à terre une chose aussi vénérable ! Même ivre, il ne me viendrait pas à l’idée de le faire : ce serait me comporter en mauvais chrétien. Car c’est une chose sacrée dans notre religion : Son nom est Andouille.

Vous l’avez souvent entendu nommer. Je vais vous dire ce que vous allez faire : vous allez rester sur votre faim pour cette fois, mais je vous accorde que la prochaine que nous trouverons sera toute pour vous. Vous n’aurez pas à m’en donner une miette.

– Tibert, Tibert, vous retomberez bien un jour dans mes griffes. Jetez-m’en un peu s’il vous plaît.

– Qu’est-ce que j’entends ? rétorque Tibert, vous ne pouvez donc pas attendre qu’il vous en tombe une du ciel qui vous reviendrait en entier sans discussion ! Vous supportez mal l’abstinence8. » 

Et Tibert abandonne la discussion pour se mettre à manger l’andouille. Renart en a les larmes aux yeux : 

« Comme je suis heureux, Renart, lui dit Tibert, de vous voir pleurer vos péchés ! Que Dieu, qui connaît votre repentir, en allège votre pénitence.

– Ça suffit comme ça ! Mais vous serez bien obligé de finir par descendre, ne serait-ce que pour boire, et alors, vous devrez me passer entre les pattes  ! 

– Vous ne pouvez savoir à quel point Dieu est de mon côté. Il y a un creux à côté de moi et, comme il a plu, il n’y a pas longtemps, il y reste assez d’eau pour ma soif : elle est là tout exprès pour moi.

– De toute façon, tôt ou tard, il faudra bien que vous descendiez  ! 

– Non, pas avant des mois.

– Oh si ! Et avant sept ans accomplis en tout cas.

– Eh bien ! jurez donc de ne pas vous en aller avant.

– Je jure de t’assiéger jusqu’à ce que tu tombes entre mes mains.

– Que le diable vous emporte si vous ne respectez pas ce serment ! Mais prononcez-le sur la croix, il n’en vaudra que mieux.

– Je jure que je ne partirai pas d’ici avant le terme fixé. Ainsi, vous ne pouvez plus mettre ma parole en doute.

– Vous en avez assez fait, répond le chat, mais il y a une chose qui m’attriste – et j’en suis rempli de pitié –, c’est que vous n’avez pas encore mangé et que vous allez devoir jeûner pendant sept ans. Pourrez-vous tenir si longtemps ? Or vous ne sauriez vous en tirer autrement, car il faut bien que vous respectiez un serment si solennellement prêté.

– Ne vous en faites pas pour moi.

– Je vais me taire, et même tout de suite. D’ailleurs, ce n’est pas mon affaire. Mais, vous, attention à ne pas bouger de là. » 

Tibert se remet à manger en silence, tandis que Renart tremble de colère et, tout à la fois, sue de convoitise9. Un vrai martyre10 ! C’est alors qu’il entend un bruit qui le plonge dans l’inquiétude : c’est un chien qui aboie au loin ayant senti sa trace. Il lui faut abandonner la place s’il ne veut pas y laisser sa peau, car toute la meute se rassemble autour de celui qui menait la chasse. Le chasseur s’arrête et parle à ses chiens pour les encourager.

« Qu’est-ce que j’entends, Tibert, fait Renart en dressant la tête.

– Attendez un peu, répond le chat, ne bougez pas. Voilà une douce musique ; ce sont des gens qui passent par là à travers la campagne. Ils viennent par ici, en longeant ces fourrés et en chantant messe et matines11, puis ils vont réciter l’office des morts et faire leurs dévotions12 au pied de cette croix. Il faut que vous y soyez puisque aussi bien vous avez été prêtre autrefois. » 

Renart qui reconnaît, à l’odeur, que ce sont des chiens, se rend bien compte qu’il est en mauvaise posture et veut prendre la fuite. Mais Tibert, le voyant se lever : 

« Pourquoi vous préparer ainsi Renart ? Qu’est-ce que vous voulez faire  ? 

– Je veux m’en aller.

– Vous en aller, par Dieu, comment cela  ?  Souvenez-vous du serment que vous avez prêté. Non ! Vous ne partirez pas. Restez ici, c’est un ordre ! Au nom de Dieu, si vous partez, vous devrez vous en justifier, je vous le garantis, à la cour du roi Noble, car vous y serez accusé de parjure et pas seulement d’avoir menti. La trahison est double : vous aviez promis de m’assiéger sept ans et vous vous étiez engagé par un serment solennel. Or vous vous dérobez comme un scélérat en prenant la fuite dès le premier jour. Je suis en bons termes avec ces chiens. Si vous en avez la moindre peur, plutôt que de vous voir commettre un tel sacrilège13, je leur donnerai un gage pour vous et je passerai un accord avec eux. » 

Sans l’écouter, Renart se met en route. Les chiens qui l’ont vu se lancent à sa poursuite, mais en vain, car il connaît trop bien le pays pour être pris.

Échappant aux dents de ses poursuivants, il s’enfuit, menaçant Tibert tant et plus et jurant d’en découdre14 avec lui à la première occasion. C’est la guerre déclarée entre eux, il n’y aura plus ni paix ni trêve.

Branche XV.

 

1.  L’estomac dans les talons :  « avoir l’estomac dans les talons » est une expression signifiant « avoir très faim » .

2.  Monticule :  petite colline.

3.  Marri :  désolé.

4.  Livres :  ancienne monnaie.

5.  Compagnonnage :  alliance de deux chevaliers afin de s’entraider.

6.  Parjure :  celui qui a rompu son serment, sa promesse.

7.  Hérétique :  personne qui ne respecte pas les règles de la religion.

8.  Abstinence :  fait de se priver de certains aliments pour des raisons religieuses.

9.  Convoitise :  envie.

10.  Martyre :  supplice.

11.  Matines :  messe chantée entre minuit et le lever du jour.

12.  Dévotions :  actes de foi.

13.  Sacrilège :  offense à l’égard de Dieu.

14.  En découdre :  se battre.

Le Roman de Renart

LE JUGEMENT DE RENART

Pierrot, qui a mis tout son talent à écrire en vers l’histoire de Renart et Ysengrin son compère, a laissé de côté le meilleur de son sujet en omettant les plaidoiries et le jugement qui se déroulèrent à la cour de Noble le lion. Il concerne le viol qu’aurait fait subir Renart, l’instigateur de tous les mauvais tours, à dame Hersent la louve.

La plainte d’Ysengrin

L’HIVER était passé ; la rose s’épanouissait et l’aubépine fleurissait, et l’Ascension1 était proche, quand sire Noble le lion fit venir dans son palais toutes les bêtes pour tenir cour plénière2. Nul ne fut assez hardi pour s’abstenir en aucun cas d’y venir au plus vite, hormis le seul dom3 Renart, le voleur rusé, le trompeur, que les autres accusent devant le roi en dénonçant son orgueil insensé. Ysengrin, qui ne l’aime pas, se plaint devant tous et dit au roi :  « Beau gentil4 sire, faites justice de la conduite qu’il eut envers mon épouse, dame Hersent, et des outrages qu’il fit à mes louveteaux : j’en ai toujours autant de chagrin. Renart fut assigné5 pour jurer qu’il était innocent  ; mais, quand les reliques6 furent apportées, il se retira vite en arrière – je ne sais sur quel conseil – et se replia dans sa tanière, ce dont j’eus un grand courroux7. » Le roi lui répond en présence de tous :  « Ysengrin, laissez cela. Vous n’avez rien à gagner à rappeler votre honte. Jamais pour un si petit dommage je ne vis montrer tant de chagrin ni de fureur. Certes, ces choses-là sont telles qu’il vaut mieux n’en point parler. » Brun l’ours dit :  « Beau gentil sire, il y a peut-être mieux à dire. Ysengrin n’est ni mort ni prisonnier, et, si Renart lui manque de respect, il peut en tirer vengeance. Ysengrin est si puissant que, si son voisin Renart n’observait point la paix qui fut récemment jurée, il serait de taille à lui résister. Mais vous êtes prince de la terre : mettez fin à cette guerre, et faites régner la paix entre vos barons8, nous haïrons qui vous haïrez et nous vous resterons fidèles. Si Ysengrin se plaint de Renart, mettez-le en jugement : c’est le mieux que je puisse dire. Si l’un doit quelque chose à l’autre, qu’il s’acquitte et vous paie l’amende du délit. Envoyez-moi chercher Renart à Malpertuis : je l’amènerai, si je le trouve, et lui apprendrai à vivre.

 « Sire Brun, dit Bruyant le taureau, malheur à qui viendra – je ne parle pas pour vous – conseiller au roi de punir Renart d’une simple amende pour l’outrage fait à Ysengrin. Renart a tourmenté et dupé tant de gens que nul ne doit plus le défendre. Pour moi, si ce trompeur m’avait offensé, ni Malpertuis ni forteresse ne m’auraient empêché de le jeter dans un bourbier9. » 

Grimbert le blaireau prend alors la défense de Renart, son cousin germain : selon lui, Renart n’est pas coupable car il était amoureux d’Hersent la louve. Quant à Ysengrin, il a eu bien tort de porter plainte, car toute la cour est désormais au courant de son déshonneur. Mais Hersent intervient et se dit prête à subir le jugement de Dieu pour prouver son innocence : elle est aussi pure qu’une nonne ! Bernard, l’âne, est bouleversé par les paroles d’Hersent, qu’il croit parfaitement innocente. Noble le roi décide alors de se montrer clément. Ysengrin est fou de rage et jure de mener contre Renart une lutte sans merci. Noble se fâche à son tour : la paix est jurée et personne ne doit l’enfreindre !

Branche I.

 

1.  Ascension : fête religieuse qui célèbre l’élévation miraculeuse de Jésus au ciel, quarante jours après Pâques.

2.  Cour plénière : réunion de tous les vassaux du roi à sa cour sur sa demande.

3.  Dom : équivalent de « seigneur » .

4.  Gentil : au Moyen Âge, signifie « noble » , « bien né ».

5.  Assigné : appelé à comparaître devant un juge.

6.  Reliques : restes d’un saint, ou objet lui ayant appartenu.

7.  Courroux : colère.

8.  Barons : seigneurs de l’entourage du roi.

9.  Bourbier : endroit plein d’une boue épaisse.

Les funérailles de dame Copée

QUAND Ysengrin entendit que le roi se prononçait pour la paix, il en fut très attristé : il ne savait que faire, ni à quel saint se vouer1. Il s’assit par terre, entre deux bancs, la queue entre les jambes. Renart aurait alors été tiré d’affaire, si Dieu l’avait voulu. En effet, l’accord que le roi avait conclu en faveur de la paix aurait pu mettre fin, malgré les mécontents, à la guerre entre Renart et Ysengrin, si Chanteclerc et Pinte n’étaient arrivés à la cour, accompagnés de trois autres poules, pour se plaindre de Renart auprès du roi. Il fut alors difficile d’étouffer l’affaire, car sire Chanteclerc le coq, Pinte qui pond de gros œufs, Noire, Blanche et Roussette tiraient une charrette recouverte d’un rideau. À l’intérieur reposait une poule que l’on amenait sur une litière2 semblable à un cercueil. Renart l’avait tant malmenée, lui avait donné tant de coups de dents qu’il lui avait brisé la cuisse et arraché une aile.

Alors que le roi avait rendu de nombreux jugements, et qu’il était las de plaider, voici maintenant que les poules arrivaient, avec Chanteclerc, en se battant des paumes3. Pinte s’écria la première : 

 « Au nom de Dieu, dit-elle, nobles bêtes, chiens, loups, et vous tous qui êtes ici, venez en aide à la malheureuse que je suis ! Je maudis l’heure de ma naissance. Mort, hâte-toi de venir me chercher puisque Renart m’empêche de vivre ! Mon père m’avait donné cinq frères : Renart, ce vaurien, les mangea tous ; ce fut une grande perte et une grande souffrance. De ma mère, j’avais cinq sœurs, de pures jeunes filles qui étaient de bien belles poules. Grombert du Frêne les nourrissait afin qu’elles puissent bientôt pondre. Le malheureux ! C’est en vain qu’il les engraissa car Renart, des cinq poules, ne lui en laissa qu’une seule : toutes finirent dans sa panse. Et vous qui gisez dans cette bière4, ma douce sœur, mon amie chère, comme vous étiez tendre et grasse ! Que va devenir votre malheureuse sœur qui jamais plus ne vous verra ? Renart, puisses-tu brûler dans les flammes de l’enfer ! Tu nous as tant de fois maltraitées, chassées, tourmentées ! Tu nous as si souvent déchiré la peau en nous poursuivant jusqu’aux clôtures ! C’est hier matin, devant la porte, qu’il laissa ma sœur morte avant de s’enfuir dans une vallée. Gombert n’avait pas de cheval rapide ; à pied, il ne put pas le rattraper. Je voulais porter plainte mais je n’ai trouvé personne pour me rendre justice, car pour Renart, les menaces et la colère d’autrui ne valent pas un sou. » 

À ces mots, la malheureuse Pinte tomba évanouie sur le pavé et les autres poules firent de même. Chiens, loups et autres bêtes se levèrent de leur banc pour relever les quatre dames ; ils leur jetèrent de l’eau sur la tête.

Les poules se remirent et allèrent, avec Chanteclerc, se jeter aux pieds du roi. Celui-ci se mit alors très en colère ; toute la cour frémit. Noble annonça qu’il allait convoquer Renart et qu’il le châtierait de façon exemplaire.

Quand Ysengrin entendit le roi, il se leva vivement :  « Sire, dit-il, vous faites preuve d’une grande noblesse. Vous seriez acclamé de tous si vous pouviez venger Pinte ainsi que sa sœur, dame Copée, que Renart a estropiée. Je ne le dis pas par haine : au contraire, je le dis à cause de la jeune fille qu’il a tuée, et non à cause de la haine que j’éprouve pour Renart. » L’empereur dit :  « Mon ami, Renart m’a profondément blessé. Mais parlons d’autre chose. Brun l’ours, prenez votre étole5 et recommandez l’âme de la morte à Dieu. Quant à vous, sire Bruyant le taureau, creusez-moi une sépulture6 là-haut, au milieu du champ.

– Sire, dit Brun, il en sera fait à votre guise. » Aussitôt, il alla chercher l’étole et ce dont il avait besoin. Sous sa direction, le roi et tous les autres membres du conseil commencèrent la veillée7. Sire Tardif le limaçon lut à lui seul les trois leçons8, Roënel chanta les versets9, accompagné de Brichemer le cerf.

Quand l’office eut été chanté, et que ce fut le matin, ils portèrent le corps en terre. Mais avant, ils l’avaient déposé dans un très beau cercueil de plomb, tel qu’on n’en vit jamais de plus beau. Puis ils l’enfouirent sous un arbre et mirent dessus une plaque de marbre où ils inscrivirent le nom de la dame, l’histoire de sa vie ; ils recommandèrent ensuite son âme à Dieu. Je ne sais si c’est au ciseau ou au burin10 qu’ils gravèrent cette épitaphe11 : 

SOUS CET ARBRE, AU MILIEU DE CETTE PLAINE, REPOSE COPÉE, LA SŒUR DE PINTE. RENART, QUI CHAQUE JOUR EMPIRE, EN FIT À COUPS DE DENTS UNE GRANDE MARTYRE12.

Celui qui aurait alors vu Pinte pleurer, qui l’aurait vue maudire et condamner Renart, qui aurait vu Chanteclerc étendre ses pattes aurait été saisi d’une grande pitié.

Branche I.

 

1.  À quel saint se vouer : à qui se recommander.

2.  Litière : ici, sorte de brancard pour porter la poule morte.

3.  En se battant des paumes : dans un geste de deuil.

4.  Vous qui gisez dans cette bière : vous qui reposez dans ce cercueil.

5.  Étole : bande d’étoffe que le prêtre porte autour du cou.

6.  Sépulture : tombe.

7.  Veillée : fait de passer la nuit éveillé auprès d’un mort.

8.  Leçons : lectures d’un texte religieux.

9.  Versets : paroles tirées de la Bible.

10.  Ciseau […] burin : outils servant à travailler le bois, la pierre ou le métal.

11.  Épitaphe : inscription sur une tombe.

12.  Martyre : personne qui a enduré un supplice à cause de sa religion.

Brun va chercher Renart

QUAND la douleur fut un peu calmée et que le deuil eut pris fin, les barons dirent :  « Empereur1, vengez-nous donc de ce larron2, qui nous a joué tant de tours et qui si souvent a rompu la paix.

– Bien volontiers, dit l’empereur. Brun, beau doux frère, allez donc le chercher, n’ayez aucun égard pour lui et dites-lui de ma part que je l’attends depuis trois jours entiers.

– Sire, bien volontiers » , dit Brun. Il se met aussitôt en route, à l’amble3 par la pente d’un champ, sans s’asseoir ni se reposer.

Or, pendant que Brun s’en allait, il advint à la cour une merveille4 funeste à la cause de Renart : messire Couart le lièvre, qui, de peur, avait pris les fièvres (depuis deux jours il en tremblait), les perdit, grâce à Dieu, sur la tombe de dame Copée. Quand on l’avait enterrée, il n’avait pas voulu partir sans avoir dormi sur la sépulture de la martyre. Et quand Ysengrin apprit que c’était une vraie sainte, il dit qu’il avait mal à l’oreille, et Roënel lui conseilla de se coucher sur la tombe : alors il se déclara guéri.

Quand la nouvelle vint à la cour, certains la trouvèrent bonne, mais Grimbert la jugea mauvaise, lui qui avait parlé et plaidé pour Renart avec Tibert le chat : à présent, si Renart est pris, le voilà mal en point, s’il n’invente une ruse. Brun l’ours est déjà parvenu à Malpertuis, après avoir traversé tout le bois en suivant un sentier. Mais, comme il est trop gros, il doit rester au-dehors : il s’arrête devant la barbacane5. Renart, qui attrape tout le monde, se reposait au fond de sa tanière. Il s’était pourvu d’une grosse et grasse géline6, et le matin il avait mangé deux belles cuisses de poulet. Voici justement Brun à la herse7. « Renart, fait-il, venez me parler ! Je suis Brun, messager du roi. Sortez d’ici, venez dans cette lande, et vous apprendrez ce que vous mande8 le roi. » Renart sait bien que c’est l’ours, il l’a reconnu à sa stature9 ; il se demande comment il pourra répliquer : 

 « Brun, fait Renart, beau doux ami, celui qui vous a fait descendre ici vous fait prendre beaucoup de peine. J’étais tout prêt à partir, mais je voulais auparavant me régaler d’un bon plat français10. Car, sire Brun, ne l’ignorez pas, à la cour on invite le riche à passer à table, dès son arrivée : "Sire, dit-on, venez vous lavez les mains." (Heureux, qui pour l’aider lui tient ses manches11 !) On lui sert d’abord le bœuf au verjus12, et puis les autres mets de son goût. Mais le pauvre dépourvu13, excrément de l’enfer, n’est assis ni au feu ni à table. Il mange sur ses genoux. Les chiens l’entourent et lui arrachent le pain des mains. Quand les pauvres boivent un coup, ce n’est pas du meilleur, et ils n’auront à boire qu’une fois et ne goûteront que d’un plat. Les garçons14 leur jettent leurs os, tout secs. Chacun garde son pain en son poing. Sénéchaux15 et cuisiniers ont tous été frappés au même coin16 : ils ont en abondance les biens dont leurs seigneurs sont pourvus. Les voleurs ! Puissent-ils être brûlés vifs, et leurs cendres jetées au vent ! Ils dérobent à leurs maîtres viandes et pains pour les envoyer à leurs amies. Voilà pourquoi, beau sire, j’avais dès midi déjeuné de lard et de pois ; et j’ai bien mangé encore pour sept deniers17 de miel nouveau en rayons18 frais.

Nomini Dame, Christum file19 ! dit l’ours, par le corps de saint Gilles, où trouvez-vous tant de miel ? En ce monde, c’est ce que préfère mon pauvre ventre. Menez-moi donc là-bas, très doux sire. » 

Renart lui tire la langue, content de l’avoir si vite dupé20, mais le malheureux n’y voit rien, et l’autre le mène par le bout du nez. « Brun, dit Renart, si je savais trouver en vous loyauté et amitié, foi que je dois à mon fils Rovel, je vous remplirais aujourd’hui le ventre de ce bon miel, frais et nouveau : il suffit d’entrer dans le bois de Lanfroi le forestier. Mais à quoi bon ? C’est inutile ; car, si j’y allais avec vous et si je m’épuisais pour vous complaire, j’en serais mal récompensé.

– Qu’avez-vous dit, sire Renart ! Vous vous méfiez donc ?

– Oui.

– De quoi ?

– Ça, je le sais : de votre trahison, de votre félonie21.

– Renart, c’est le diable qui vous pousse à me calomnier22 ainsi.

– Non pas ; mais n’importe ! Je ne vous en veux pas du tout.

– Croyez-le bien, sur l’hommage que je rendis à Noble le lion, je n’ai jamais eu l’intention de vous tromper, de vous trahir, d’être fourbe envers vous.

– Je n’en veux pas d’autre assurance et m’en remets à votre loyauté. » 

Aussitôt ils se mettent en route. Ils vont à bride abattue23 jusqu’à ce qu’ils arrivent au bois de Lanfroi le forestier : là leurs destriers24 s’arrêtent. Lanfroi avait commencé à fendre un chêne, où il avait enfoncé deux coins25. « Brun, beau doux ami, fait Renart, voilà ce que je t’ai promis. Le miel est là-dedans. Mange d’abord, et puis nous irons boire. Tu as bien trouvé ce que tu désirais. » Et Brun enfonce dans le chêne son museau et ses deux pattes de devant ; et Renart lui donne un coup d’épaule ; puis il s’écarte un peu et l’encourage :  « Croquant26, fait-il, ouvre la bouche ! Ton museau entre à peine. Allons, mon fils, ouvre ta gueule. » Il le bafoue27 et le berne28 à plaisir. C’est bien le diable si l’ours eût jamais aspiré une goutte : il n’y avait ni miel ni ruche. Pendant que Brun reste la gueule ouverte, Renart empoigne les coins et les enlève à grand-peine. Et, une fois les coins retirés, le mufle de Brun reste pris dans le chêne. Le pauvre est mal loti.

Et Renart (puisse-t-il être excommunié29, car il ne fut jamais charitable !) prend du large et le raille30. « Brun, fait-il, je savais bien que vous cherchiez quelque ruse pour m’empêcher de goûter au miel [...] Ah ! vous me soigneriez bien et je n’aurais rien à craindre, si je me trouvais malade ! Vous ne me laisseriez que poires blettes31 ! » Or, à ces mots, survient Lanfroi le forestier, et Renart s’enfuit à toutes jambes. Quand le vilain32 voit Brun l’ours pris dans le chêne qu’il voulait fendre, il court à la ferme en toute hâte. « Haro ! haro !33 fait-il, à l’ours ! Cette fois nous le tenons bien. » Il fallait voir alors les vilains venir et fourmiller34 dans le bocage ! L’un porte une massue, l’autre une hache, celui-ci un fléau35, celui-là un bâton d’épine. Brun a grand-peur pour son échine. En entendant venir cette troupe enragée, il frémit et se dit en lui-même qu’il vaut mieux perdre le museau qu’être pris par Lanfroi, qui vient devant tous les autres avec une hache. Il tire, tire (sa peau s’arrache, ses veines éclatent), si fort qu’il se fend le cuir36 et se met la tête en bouillie. Il a perdu beaucoup de sang, le cuir du crâne et des pattes. Jamais on ne vit bête si laide. Une pluie de sang lui coule du museau ; de toute la peau de sa face, on ne ferait pas une bourse37. Ainsi le fils de l’ourse s’en va, s’en va fuyant par le bois, et les vilains le poursuivent de leurs huées : Bertot, le fils de sire Gilles, et Hardouin Coupe-Vilain, et Gombert, et le fils de Galon, et dom Helin, le neveu de Faucon, et Otran, comte de l’Anglée, qui avait étranglé sa femme, et Tyégier, le fournier38 du village, qui épousa la noire39 Cornille, et Aymer Brise-Faucille, et Rocelin, le fils de Bancille, et le fils d’Oger de la Place, qui tenait une hache au poing, et messire Hubert Grosset, et le fils de Faucher, Galopet40.

Terrifié, l’ours prend la fuite. Et le curé de la paroisse, qui revenait d’étendre son fumier, le frappe sur les reins d’un bon coup de la fourche qu’il tenait en main. Il faillit l’abattre et le blessa grièvement. Celui qui fait les peignes et les lanternes le coince entre deux chênes, et d’une corne de bœuf lui brise à moitié l’échine. Les coups de massue tombent si dru sur l’ours qu’il s’échappe à grand-peine. S’il peut attraper Renart, c’en est fait du goupil. Mais ce dernier, en l’entendant de loin crier, a bien vite pris le chemin de Malpertuis, sa forteresse, où il ne craint attaque ni surprise. Quand Brun vient à passer là, Renart lui lance des sarcasmes41. « Brun, dit-il, vous êtes bien avancé d’avoir mangé sans moi le miel de Lanfroi ! Votre mauvaise foi vous portera malheur, et vous mourrez sans prêtre auprès de vous. De quel ordre voulez-vous être, que vous portez chaperon rouge42? » 

L’ours éperonne tant son destrier qu’à midi sonnant il arrive dans la carrière où le lion tenait cour plénière. Il tombe pâmé sur le dallage. Le sang lui couvre toute la face et il a perdu ses oreilles. Toute la cour s’en étonne. Le roi dit :  « Brun, celui qui t’a fait cela t’a arraché ton chapeau bien vilainement. » Brun a perdu tant de sang qu’il n’a plus la force de parler. « Roi, c’est Renart qui m’a mis dans l’état où vous me voyez. » Puis il va tomber aux pieds du lion.

Branche I.

 

1.  Empereur : ici, le roi.

2.  Larron : voleur.

3.  À l’amble : au trot (Brun se déplace à cheval).

4.  Merveille : miracle.

5.  Barbacane : dans un château, sorte de rempart qui permet de défendre une porte ou un pont.

6.  Géline : ancien nom pour désigner une poule.

7.  Herse : grille armée de pointes que l’on abaissait pour fermer l’entrée d’un château.

8.  Mande : demande.

9.  Stature : taille d’une personne.

10.  Plat français : plat d’Île-de-France.

11.  Lui tient ses manches : au Moyen Âge, les vêtements étaient pourvus de manches très larges.

12.  Verjus : sauce acide.

13.  Dépourvu : celui qui ne possède rien.

14.  Garçon : ici, « valet » .

15.  Sénéchaux : intendants du château.

16.  Frappés au même coin : qui se ressemblent, faits selon le même modèle.

17.  Deniers : ancienne monnaie.

18.  Rayons : gâteaux de cire fabriqués par les abeilles.

19.  Nomini Dame, Christum file :  citation latine déformée signifiant « Au nom de notre Seigneur et de son fils Jésus-Christ » .

20.  Dupé : trompé.

21.  Félonie : traîtrise.

22.  Calomnier : dire du mal de quelqu’un, en sachant que ces paroles sont des mensonges.

23.  À bride abattue : à toute vitesse.

24.  Destrier : cheval noble qui sert au combat. Il est tenu de la main droite (« destre ») par l’écuyer.

25.  Coin : pièce servant à fendre du bois.

26.  Croquant : personne peu raffinée, rustre.

27.  Le bafoue : le ridiculise et l’outrage.

28.  Le berne : le trompe.

29.  Excommunié : exclu de l’Église (condamnation très grave).

30.  Le raille : se moque de lui.

31.  Poires blettes : poires trop mûres, pourries. L’ours ne lui laisserait rien de bon à manger.

32.  Vilain : paysan, homme grossier.

33.  Haro ! haro ! : cri par lequel on appelait la foule contre un coupable.

34.  Fourmiller : s’agiter en grand nombre.

35.  Fléau : outil qui sert à battre le blé.

36.  Cuir : peau d’un animal.

37.  On ne ferait pas une bourse : Brun a perdu tellement de peau que, avec celle qui lui reste, on ne pourrait même pas faire un petit sac.

38.  Fournier : celui qui travaille au four à pain, boulanger.

39.  La noire : terme péjoratif pour désigner une femme noire de crasse.

40.  Bertot […] Galopet : comme dans les récits épiques, on énumère un grand nombre d’ennemis pour rendre la bataille plus spectaculaire.

41.  Sarcasmes : moqueries méchantes.

42.  Chaperon rouge : image qui désigne le museau ensanglanté de Brun.

Renart présente sa défense au roi

Le roi entre alors dans une grande colère et jure de faire pendre Renart ! Il demande à Tibert d’aller le chercher. Bien que très apeuré, Tibert n’ose pas refuser et se rend chez Renart. Là, il appelle Renart, qui accepte de venir à la cour. Mais auparavant, Tibert voudrait bien manger quelque chose. Renart lui promet plein de souris grasses, s’il veut se rendre dans une maison du village où habite un prêtre. Sa ferme regorge d’avoine, mais il maudit les souris qui la lui mangent. Renart sait bien que le petit Martin, le fils du prêtre, a tendu un piège pour le prendre, mais il n’en dit rien à Tibert ! Celui-ci se précipite et se trouve pris dans un lacet. Le prêtre arrive et le roue de coups. Tibert réussit à s’enfuir, après avoir griffé le prêtre pour se venger, mais il est tout meurtri. Il revient à la cour et se jette aux pieds du roi. Noble ne contient plus sa colère : ce diable de Renart s’est encore moqué de lui !

C’est au tour de Grimbert d’aller chercher Renart. Avant de partir, il demande au roi d’écrire une lettre, scellée de son sceau : dans ces conditions, le goupil n’osera pas refuser de le suivre. Il se rend ensuite au château de Renart et celui-ci lui fait bon accueil, parce que le blaireau est son cousin. Quand il voit le sceau du roi, il tremble de peur et n’ose se soustraire aux ordres du roi. Mais avant de partir, il confesse ses nombreux péchés à Grimbert, afin que Dieu les lui pardonne s’il doit mourir pendu. Renart et Grimbert arrivent alors à la cour, où toutes les bêtes les attendent, impatientes de se venger du goupil. Renart, sans se démonter, adresse au roi le discours suivant : 

 « ROI, dit Renart, je vous salue, moi qui vous ai mieux servi que tout autre baron de l’empire. Ceux qui vous disent du mal de moi ont tort. Sans doute est-ce par malchance que je n’ai jamais été sûr de votre affection un jour entier. J’ai quitté la cour récemment, en plein accord avec vous. Mais les jaloux qui veulent se venger de moi ont tant fait que vous m’avez mal jugé. Sire, quand un roi s’acharne à croire les mauvais larrons et abandonne ses bons vassaux, préférant à la tête la queue, alors tout va mal sur terre. Ceux qui sont serfs1 par nature ne savent observer la mesure. Peuvent-ils s’élever à la cour ? Ils s’efforcent de nuire aux autres  ; ils poussent au mal, car ils savent en tirer profit : ils empochent les biens d’autrui ! Je voudrais savoir de quoi Brun et Tibert m’accusent. Sans doute, si le roi l’ordonne, peuvent-ils me noircir2. Mais je ne suis pas coupable : ils ne sauraient donner leurs raisons. Si Brun a mangé le miel de Lanfroi et si le vilain l’a battu, pourquoi ne s’est-il pas vengé sur lui ? Il a pourtant de grandes mains et de grands pieds, de gros mollets et de grosses pattes. Si messire Tibert le chat, pour avoir mangé les rats et les souris, fut pris et humilié, est-ce ma faute ? Je ne sais que dire d’Ysengrin : car il est vrai que j’ai aimé sa femme. Mais puisqu’elle ne s’en est pas plainte, suis-je félon3 envers elle ? Le pauvre fou en est jaloux : est-il juste qu’on me pende pour cela ? Non Sire, Dieu m’en garde ! Grande est Votre Majesté. La foi, la grande loyauté que j’ai toujours eues envers vous, voilà ce qui m’a sauvé la vie. Mais, foi que je dois à Dieu et à saint Georges, j’ai la gorge toute blanche. Je suis vieux, je ne puis me défendre et ne me soucie plus de plaider. C’est péché que de me faire venir à la cour. Mais, puisque mon seigneur le commande, il est juste que j’y vienne. Me voici devant lui, qu’il me fasse arrêter, qu’il me fasse brûler ou pendre : car je ne puis me défendre devant lui. Je ne suis pas un puissant personnage, mais ce serait triste justice, et si l’on me pendait sans jugement, bien des gens en parleraient. » 

Branche I.

 

1.  Serfs : esclaves. Désigne ici ceux qui ont l’âme basse.

2.  Me noircir : dire du mal de moi.

3.  Félon : déloyal.

Le châtiment de Renart

Malgré ce beau discours, l’empereur ne se laisse pas attendrir et il fait appel au jugement de ses barons. Grimbert intervient alors : il faut agir avec justice et laisser Renart se justifier si on l’accuse. À ces mots, tous les plaignants se lèvent et crient justice : Belin le mouton, Tibert le chat, Tiécelin le corbeau, Roënel le chien, Chanteclerc et dame Pinte, Épineux le hérisson, Petitpas le paon, Frobert le grillon, ainsi que Rousseau l’écureuil et Couart le lièvre. Le roi les fait taire et leur demande comment il faut punir Renart : tous exigent qu’on le pende. Noble accepte cette sentence.

AU SOMMET d’une colline, sur un rocher, le roi ordonne qu’on dresse le gibet1 pour pendre Renart le goupil : le voilà en grand danger. Le singe lui fait une grimace et le frappe à la joue. Renart regarde derrière lui et les voit venir en foule. L’un le tire, l’autre le pousse : rien d’étonnant qu’il ait peur. Couart le lièvre lui jette des pierres de loin, sans approcher. Ainsi lapidé2 par Couart, Renart secoue la tête : Couart en fut si éperdu que depuis il a disparu ; ce simple signe l’épouvante. Alors il s’est caché dans une haie : de là, dit-il, il verra bien comment l’on fera justice du coupable. Vainement il s’y cacha, je crois, car il connaîtra encore la peur. Renart est bien embarrassé : il est lié et tenu de tous côtés. Mais il ne put trouver de ruse pour s’échapper. Rien à faire pour s’en tirer, à moins d’une astuce extraordinaire.

Quand il vit dresser le gibet, Renart en fut très affligé3 et dit au roi :  « Beau gentil sire, laissez-moi donc un peu parler. Vous m’avez fait saisir et enchaîner et vous voulez me pendre malgré mon innocence. J’ai commis, c’est vrai, de grands péchés et je ne suis pas sans tache4. Maintenant, je veux me repentir. Au nom de sainte Pénitence, je veux prendre la croix5 pour aller, s’il plaît à Dieu, par-delà la mer. Si je meurs là-bas, je serai sauvé. Et si l’on me pend, ce sera une bien triste justice. Maintenant, je veux me repentir. » Et il se jette aux pieds du roi, qui se sent pris de pitié. Grimbert revient de son côté et crie merci6 pour Renart.

 « Sire, pour Dieu, écoute-moi ; conduis- toi généreusement : pense combien Renart est preux et courtois7. S’il revient d’ici cinq mois, on aura encore grand besoin de lui, car il n’est pas de serviteur plus hardi.

– Ce n’est pas sûr, dit le roi. Il reviendrait pire qu’il n’est. Telle est la coutume : qui bon y part, mauvais revient. Il fera comme les autres s’il échappe à ce péril.

– Si alors il n’a pas l’âme en paix, Sire, qu’il n’en revienne jamais. »

Et le roi dit : « Bon, qu’il prenne la croix, mais à condition qu’il reste là-bas. »

À ces mots Renart éprouve une grande joie. Il ne sait pas s’il fera le voyage, mais, de toute façon, on lui met la croix sur l’épaule droite. On lui apporte écharpe et bourdon8. Les bêtes en ont un grand dépit9 : celles qui l’ont frappé et malmené disent qu’elles pourraient bien le payer cher.

Voilà Renart pèlerin, écharpe au cou, bourdon de frêne en main. Le roi lui dit de leur pardonner tous les maux qu’ils lui ont fait et de renoncer aux ruses et tromperies : s’il meurt, son salut est assuré. Renart consent à tout ce que le roi lui demande ; il est de son avis, tant qu’il n’est pas parti. Il rompt le fétu10, leur accorde son pardon et quitte la cour un peu avant l’heure de none11, sans saluer personne. En lui-même, il les méprise, sauf le roi et son épouse, madame Fière l’orgueilleuse, la très courtoise et la très belle. Elle dit gentiment à Renart :  « Sire Renart, priez pour nous, et nous parlerons aussi pour vous.

– Dame, fait-il, de quel prix serait pour moi votre prière, et bienheureux celui pour qui vous daigneriez prier ! Mais, si j’avais l’anneau que vous portez là, mon voyage en serait bien meilleur. Et sachez que, si vous me le donnez, vous en serez bien récompensée : en retour, je vous donnerai tant de mes bijoux qu’ils vaudront bien cent anneaux. » 

La reine lui tend l’anneau ; Renart le prend et le met à son doigt, puis prend congé du roi. Il pique son cheval des éperons et s’éloigne au grand trot.

Branche I.

 

1.  Gibet : potence où l’on pend les criminels.

2.  Lapidé : attaqué à coups de pierres.

3.  Affligé : fortement attristé.

4.  Tache : péché.

5.  Prendre la croix : partir pour la croisade, parfois pour expier un péché.

6.  Crie merci : demande qu’on ait pitié.

7.  Preux et courtois : vaillant et noble de cœur.

8.  Écharpe et bourdon : sacoche et bâton de pèlerin.

9.  Dépit : déception.

10.  Rompt le fétu : au Moyen Âge, geste par lequel un vassal rompait l’hommage prêté au suzerain. Ici, Renart prend congé du roi.

11.  Heure de none : environ trois heures de l’après-midi.

Renart s’échappe et regagne Malpertuis

Renart est alors pris d’une grande faim. Il s’approche d’une haie où Couart s’était caché. Quand il aperçoit le lièvre, il le pique de son bâton de pèlerin et l’attrape. Il monte alors sur un rocher et défie la cour assemblée. Il jette sa croix, son bâton et insulte le roi. Pendant ce temps, Couart réussit à lui échapper et se précipite auprès du roi, à qui il raconte ce nouveau tour de Renart. Noble se voit trahi et ridiculisé : il demande à tous de se mettre à la poursuite de Renart. Les bêtes se lancent à ses trousses et le rejoignent bientôt. Déjà, elles lui écorchent la peau et s’apprêtent à l’attraper. Mais Renart parvient à temps à Malpertuis, son château, où il est en sûreté. Sa femme et ses trois fils l’accueillent et pansent ses blessures.

Branche I.

Le Roman de Renart

LE SIÈGE DE MALPERTUIS

Monseigneur Noble arrive alors au château, qui semble imprenable : les enceintes, les murailles, les tours et le donjon sont solides ; le pont-levis est relevé. Le roi et ses barons dressent un camp autour du château : ainsi assiégé, Renart sera bien obligé de se rendre. Mais le goupil monte aux créneaux et se moque d’eux : qu’ils restent là aussi longtemps qu’ils le veulent, il a des vivres pour sept ans  ! Le lendemain, le roi donne l’assaut, mais il ne parvient pas à abîmer la moindre pierre de la forteresse. Pendant six mois, le roi et son armée assiègent le château, sans que Renart en soit incommodé. Mais un beau jour, Renart commet une imprudence... Au beau milieu de la nuit, il se glisse hors du château et attache tous ses ennemis aux arbres sous lesquels ils dorment. Puis il se dirige vers la reine et se couche près d’elle, en se faisant passer pour son mari. Celle-ci s’en rend compte à temps et alerte le camp : toutefois, personne ne peut lui venir en aide car ils sont attachés ! Heureusement, Renart a oublié de ligoter Tardif, le limaçon, qui délivre le roi et ses barons. Renart est fait prisonnier. Tous les animaux se jettent sur lui et le frappent à qui mieux mieux. Dans la mêlée, Pelé le rat est tué, sans que personne ne s’en rende compte. Puis on passe la corde au cou du goupil, qui fait son testament avant de mourir. À ce moment-là, la femme de Renart, la belle Hermeline, arrive avec ses trois fils et implore la grâce de Renart. Elle a apporté une forte somme d’argent en guise de rançon. Saisi par la convoitise, Noble accepte de pardonner, une nouvelle fois. Renart est délivré,tout heureux, quand arrive à la cour dame Chauve, la femme de Pelé le rat, la dernière victime de Renart. Elle demande justice au roi, mais avant que celui-ci ait pu se prononcer, Renart se réfugie dans un arbre, d’où il se moque de la cour. Furieux, Noble demande qu’on abatte l’arbre. Renart se saisit alors d’une pierre et assomme le roi, avant de s’enfuir à nouveau !

Branche I.

Le Roman de Renart

Clefs d’analyse

Action et personnages

1.  Expliquez qui est Pierrot. Que va raconter son successeur désormais ? 

2.  Faites la liste des animaux présents à la cour et expliquez, quand cela est possible, le rapport entre l’animal et son nom.

3.  Quel animal prend la défense de Renart ? Pour quelle raison ? 

4.  Relevez dans le discours de Pinte les termes qui rattachent les poules à l’animal puis à l’humain.

5.  Comparez le piège tendu par Renart à Brun avec ceux tendus à Ysengrin : qu’ont-ils en commun ? 

6.  Quel est l’effet produit par la liste des villageois ? Quels détails suggèrent leur cruauté ? 

7.  Relevez les détails horribles dans la description des souffrances de Brun. Qu’en déduisez-vous sur l’évolution de Renart par rapport aux épisodes précédents ? 

8.  Quels arguments avance Renart pour convaincre Noble de le laisser partir à la croisade plutôt que de le pendre ? 

9.  Comment Renart se moque-t-il finalement de toute la cour ? Quels détails montrent qu’il se moque de la religion ? 

10.  Relevez les différents outrages que Renart commet envers le roi lors du siège de Malpertuis. Quel type de personnage représente ici Renart ? 

Langue

11.  Dans un dictionnaire étymologique, recherchez l’origine et l’évolution du mot « gentil ».

12.  Voici des mots qui appartiennent à un registre de langue soutenu : « courroux », « dommage », « outrage », « dupé ». Trouvez leur équivalent dans un registre de langue courant.

Genre ou thèmes

13.  Peut-on dire que la justice règne au royaume de Noble ? Quel est le rôle du roi dans ce système ? 

14.  Relevez tous les termes qui rendent le discours de Pinte émouvant. Pourtant, sachant qu’il s’agit de la mort d’une poule, quel est l’effet produit ? 

15.  Quel mot a un effet comique dans l’épitaphe ? Montrez qu’il s’agit d’une parodie (voir « Outils de lecture »  pour la définition du mot « parodie »).

16.  Quels événements merveilleux surviennent à la cour ? Comment le narrateur met-il en doute ces miracles ? 

17.  Analysez la défense de Renart en observant la façon dont il se présente et comment il retourne l’accusation.

18.  Quels mots montrent que Renart n’a pas l’intention de partir réellement en croisade ? 

19.  Finalement, l’image du roi qui se dégage de cet épisode vous paraît-elle positive ou négative ? Justifiez.

Écriture

20.  Tibert le chat prend à son tour la parole pour accuser Renart. Écrivez le discours argumenté qu’il prononce devant le roi.

Pour aller plus loin

21.  Faites une recherche sur les croisades au Moyen Âge.

À retenir

« Le jugement de Renart » est l’épisode le plus célèbre de l’œuvre. C’est en effet cette branche qui réalise le meilleur équilibre entre l’animalité et l’humanité des personnages. On passe sans cesse d’une identité à une autre : Pinte est une grande martyre, mais c’est aussi une simple poule ! Avec ces animaux, le récit s’amuse donc à imiter les comportements des hommes en nous faisant rire : c’est une parodie.

Le Roman de Renart

LA MORT DE RENART

Le printemps est venu et Renart, tout heureux, sort de chez lui pour trouver quelque chose à manger. Il rencontre Couart, le lièvre, avec qui il se rend à la cour. Là, il est accueilli par le roi, qui se réjouit de sa venue. Un banquet est dressé. Après le repas, Ysengrin et Renart jouent aux échecs. Le loup est un joueur habile et Renart perd tout son argent. Pour finir, il ne lui reste plus qu’à miser sa peau. Mais Renart perd une fois de plus et Ysengrin le cloue à l’échiquier. Le goupil souffre le martyre, mais il est heureusement délivré par dame Fière, la femme de Noble, qui s’en va le soigner. Cruellement blessé, Renart sent la mort venir et il se confesse à l’archiprêtre Bernard. Il avoue ses nombreux péchés, et en particulier sa liaison adultère avec dame Fière. Ensuite, Renart perd connaissance, et on le tient pour mort. Quel deuil pour le roi !

SANS PLUS ATTENDRE, Noble appelle un messager et l’envoie immédiatement à Malpertuis prévenir Hermeline et ses trois fils du malheur qui les touche. Dès que le courrier1 s’est acquitté de sa mission, ils gagnent la résidence du lion. Hermeline, le cœur battant, pénètre dans la chambre où gît Renart et se met à se lamenter avec tant d’éclat qu’on n’entendrait pas le tonnerre de Dieu :

« Quinze jours ne se sont pas écoulés, seigneur, depuis que vous avez quitté Malpertuis, gai et content. Et c’était pour la dernière fois ! Quel grand malheur pour nous que votre mort ! Mais il faut avertir Grimbert qui l’ignore encore : nous le lui devons bien.

– Certes », dit le roi. Il appelle donc un messager qui accourt sur-le-champ. « Rends-toi tout droit à Maubuisson et fais vite. Dis à Grimbert que je lui demande de venir me trouver et raconte-lui ce qui arrive. »

Le courrier s’éloigne à vive allure. Pendant ce temps, Grimbert le blaireau se trouvait dans la cour de son château. Dès que l’envoyé du roi y pénètre, il court à sa rencontre :

« Soyez le bienvenu, mon ami. Qui cherchez-vous ? Et à qui appartenez-vous ?

– Seigneur, j’appartiens au roi qui vous adresse son salut et vous invite à venir le trouver sans délai. »

Grimbert n’est pas peu inquiet de la teneur2 de ce message :

« J’irai avec plaisir, cher ami, mais pourquoi l’empereur me mande-t-il3 ?

– Seigneur, par saint Pierre, c’est à cause de la mort de votre cousin Renart. Certes, c’était votre meilleur voisin. »

La nouvelle plonge le blaireau dans une profonde tristesse : « Par le Dieu de vérité, c’est une bien mauvaise nouvelle pour moi que la mort de mon cousin germain. J’étais au plus haut, je me retrouve en train de descendre la pente. Car c’est à lui, je peux le dire, que je devais ma fortune. »

Sans rien ajouter, ils gagnent ensemble la cour où leur venue devait être pour beaucoup un sujet de satisfaction. Grimbert épuisé de fatigue s’assied à côté de la bière4. En proie à une profonde douleur, il reste près du corps, tête baissée, avec, sur le visage, une mine de circonstance. Quand il bouge, c’est pour se mettre à fondre en larmes et à pousser des cris ou pour gémir à fendre l’âme sans que personne puisse le réconforter.

Le roi, quant à lui, fait solennellement porter le corps dans la grande salle où l’assemblée demeure jusqu’au soir. Dame Fière s’affaire pour qu’on apporte le plus grand nombre de cierges possible que l’on allume dans tout le palais. Je ne peux vous dire combien il y en avait, mais on ne vit jamais pour un comte ou un roi telle débauche de lumières5. Grimbert, après avoir laissé éclater sa douleur, se rassied auprès de la bière :

 « Par saint Denis, dit-il au roi, vous devriez, sur la foi que vous devez à saint Gilles, faire chanter maintenant sans plus attendre les vigiles des morts6. »

Tous les animaux se rassemblent autour du défunt et manifestent leur tristesse. Ils chantent chacun à leur tour une leçon. Puis ils s’amusent jusqu’au lever du jour.

L’archiprêtre7, monseigneur Bernard, fait sonner les cloches en l’honneur de Renart et tous s’empressent à cet office8. On porte le corps à l’église, on l’installe devant l’autel9 : je ne crois pas qu’il y en ait un plus beau au monde ; il était consacré à madame Pinte, la grande martyre10, dont le corps reposait dans une châsse11 sous l’autel depuis le jour de sa mort. Les circonstances particulièrement douloureuses de son trépas expliquent les honneurs que l’on avait jugé bon de lui rendre. Ce cadre somptueux n’était pas du goût de tout le monde, et pourtant Chanteclerc, qui agissait avec l’autorisation du roi, avait eu raison d’y faire placer le corps pour qu’il y repose. Depuis, tout le monde le reconnaît, Pinte, quant à elle, y a multiplié les miracles : tous les infirmes qui s’y pressent en repartent guéris, et de même ceux qui sont atteints de la goutte12 ou de maux de dents. On y apporte donc le corps de Renart et on l’étend à terre au pied de l’autel. Le roi convoque alors tous les barons de son empire. Des meilleurs et des pires, nul n’ose se dérober, par crainte du souverain, bien que celui pour qui ils sont là se soit souvent moqué d’eux. Ils prennent place auprès de Noble, devant l’autel, calmes et silencieux. Les plus puissants et importants d’entre eux au nombre de six, vont revêtir les ornements liturgiques13 pour rendre les honneurs funèbres au corps. Le premier est Bernard l’archiprêtre qui est seigneur et maître à la cour, puis Bruyant le taureau et le cheval. Le quatrième est Roënel le mâtin14 avec Brun l’ours et le cerf Brichemer qui était un des meilleurs amis du mort. Ils s’habillent comme il faut pour dire le service religieux en l’honneur de Renart qui est couché dans la bière. Hermeline et dame Fière laissent éclater leur douleur à grands cris. Bernard, pâli par le jeûne et les macérations15, prononce le sermon16 un peu avant d’en être à l’évangile :

« Par saint Gilles, chers seigneurs, j’ai bien sujet de m’étonner. Hier, Renart était encore en bonne santé, et le voilà mort aujourd’hui. La pureté, la perfection même sont nécessaires à quiconque doit vivre – ce qui est notre lot commun – en ne faisant que passer et trépasser17. Ceux qui n’ont en tête que crimes et méfaits devraient méditer son exemple. Il n’y aura ni tours, ni enceintes, ni forteresses, ni murs pour les protéger. Chacun de nous mourra ; c’ourquoi nous devons nous appliquer à mener une bonne vie. Renart qui vient d’achever la sienne, a eu, pendant le temps qui lui était imparti18, une vie de martyr et d’apôtre19. Puissions-nous avoir une telle fin et un repentir aussi édifiant20, car je n’ai aucune inquiétude là-dessus, ce fut aussi une bonne mort que la sienne. Il n’y a jamais rien eu de mal à lui reprocher. Il a été sans traîtrise, sans malice et sans orgueil. Jamais je n’ai vu un grand de ce monde qui fût si vertueux. »

Bernard poursuit l’éloge du défunt, et va jusqu’à excuser les liaisons de Renart avec Hersent et dame Fière. Tour à tour les animaux évoquent les péchés de Renart mais ils lui sont tous pardonnés.

Après que l’archiprêtre a fini de chanter la messe pour Renart, le roi prend la parole devant l’assemblée. Il s’adresse d’abord à Brun l’ours : 

« Très cher ami, allez donc creuser la fosse où on enterrera Renart, sous le pin ; il y sera descendu à grand honneur. Et je vous prie de le faire le plus rapidement possible : c’est là un ordre.

– Vous pouvez compter sur mon obéissance, même si certains y trouvent à redire, répond Brun.

– Et vous, Chanteclerc, prenez l’encensoir21 pour en encenser le corps. Vous vous ferez aider de Brichemer, et du mouton, le seigneur Belin, pour porter la bière de ce noble seigneur. Ysengrin, lui, se chargera de la croix. Chacun aura sa tâche. La chèvre jouera du tambour et le cheval Ferrant de la harpe. Je veux lui entendre jouer un air joyeux qu’il exécutera tout à loisir ; qu’il commence tout de suite !  Couart le lièvre, Tibert le chat et le milan22 Hubert porteront les cierges allumés et, pour accompagner le cortège funèbre23, les souris sonneront les cloches (car j’y tiens) et le singe fera la grimace. Quant à Bernard, il est tout désigné pour enterrer le corps. »

On s’empresse d’obéir aux ordres du roi, on apporte solennellement le cadavre dont la tête avait été laissée découverte. Brun l’ours avait fait diligence24 pour creuser la fosse de sa grosse patte. On dépose à terre le corps enveloppé d’un drap de soie vert ; puis, on le découvre ; Brichemer le prend par la tête (Bernard qui avait l’expérience des enterrements, lui avait appris comment s’y prendre). Il fait signe à Belin, son vis-à-vis, de le soulever par les pieds. Sans plus attendre, ils le couchent avec précaution dans la fosse et l’archiprêtre s’empresse de l’asperger d’eau bénite pour qu’aucun esprit mauvais n’aille pénétrer dans le corps. Mais quand l’instant est venu pour l’ours Brun de le recouvrir de terre, ne voilà-t-il pas que Renart se prend à ouvrir les yeux, se demandant ce qui lui arrive et terrorisé à la perspective d’être enterré vivant. Ce n’est plus le moment de garder les yeux fermés. Pendant tout le temps où il était resté privé de sentiment, il ne s’était évidemment pas rendu compte de ce qu’on avait fait de lui ; aussi, il se croit d’abord victime d’un enchantement. Mais à la vue du roi et de la cour, il comprend ce qui lui arrive et, le courage lui revenant du même coup, il n’a qu’une idée : comment s’en tirer ? Il ne fait qu’un saut, pieds joints, hors de la fosse, et saisissant au passage entre ses dents Chanteclerc qui tenait l’encensoir, il s’enfuit au triple galop avant de se jeter dans un enclos où il se dissimule. Quand le roi se rend compte que Renart s’est joué de lui, il ne se connaît plus de colère : 

« Sus à lui25, nobles et valeureux vassaux ! S’il arrive à s’éloigner d’une lieue, Chanteclerc, mon baron, est mort ! Celui qui réussira à s’emparer de cet imposteur peut être assuré de ma reconnaissance jusqu’à sa mort. »

Tous s’élancent aussitôt à qui mieux mieux, faisant force d’éperons, à la poursuite du goupil qui emporte Chanteclerc. Mais à ce moment-là, il était déjà à l’abri dans l’enclos.

« Pauvre sot, lui dit le coq, n’as-tu pas honte de fuir ? Explique-leur plutôt que tu emportes un gage en compensation du tort que tu as subi à la cour. Ils ne te serrent pas de si près que tu ne puisses leur dire et leur faire voir sans équivoque26 que tu m’emportes malgré eux, si nombreux qu’ils soient, pour faire de moi ce qu’il te plaira. Ils te font injure en croyant qu’ils pourront m’arracher à toi : le plus rapide d’entre eux ne saurait être ton maître à la course. Qu’attendstu pour leur dire qu’ils perdent leur temps à te poursuivre ? »

Mais Renart, qui gardait le souvenir d’avoir déjà été trompé une fois par Chanteclerc de la même façon, n’a garde de souffler mot. Ses poursuivants s’écrient qu’ils le défient au nom de la cour tout entière, s’il ne leur rend sa proie.

« Et tu supportes ces cris sans broncher ? fait le coq. Qu’attends-tu pour leur dire de faire demi-tour ? Ajoute que tu iras à la cour pour te justifier des accusations portées contre toi et que tu te soumettras volontiers aux ordres du roi en vassal fidèle. Ainsi, tu les fais s’arrêter et tu peux gagner ta maison et t’y reposer en m’emportant avec toi pour m’y accommoder ce soir même à la sauce que tu voudras. Par la même occasion, si ta femme est en train d’accoucher, tu auras de la nourriture pour elle aussi. »

Mais voilà qu’apparaît un paysan occupé à couper du bois pour chauffer son four. Il avait avec lui un énorme chien – un vrai molosse27 – maigre et famélique, qu’il tenait par une laisse attachée à la chaîne garnie de petits clous qui lui servait de collier. L’homme, voyant approcher le goupil, lâche son chien et l’excite de ses cris – spectacle qui est loin de plaire à Renart. La colère et l’inquiétude le laissent pantois28. Il n’ose ni faire face au mâtin ni affronter les représentants du roi qui le serrent de près, Tardif en tête, brandissant l’étendard royal29. Finalement, il tourne bride30 en direction d’un enclos qu’il traverse, emportant toujours Chanteclerc avec lui et au comble de l’effroi. Le mâtin continue de le poursuivre sans ralentir l’allure :

« Que faire ? Si je relâche Chanteclerc, pense Renart, je n’aurai plus le temps, ce soir, de trouver de quoi dîner. Mais si cet animal qui me poursuit avec l’idée bien arrêtée de s’emparer de moi m’attrape, il me fera tâter de ses dents. Avant de penser à manger, je ferais mieux de songer à me sauver. De l’autre côté, Tardif mène bien du monde sous sa bannière. Si ceux-là réussissent à me faire prisonnier, je me serai mis dans un mauvais cas, car le roi va m’en vouloir pour Chanteclerc qui est son ami et son favori. Je suis bien ennuyé de m’être emparé de lui, tout va me retomber sur le dos. »

Aussi, s’adressant au coq  :

« En conscience, je suis obligé de vous laisser aller. Ce chien a été trop longtemps tenu en laisse, d’où son ardeur à me poursuivre. Dépêchez-vous de vous en aller. Je ne vous ai fait aucun mal ; aussi, quand vous serez à la cour, ami, ne me faites pas de tort auprès du roi sous le coup de la colère.

– Je m’en garderai bien, cher seigneur. »

D’un saut, il se penche sur un arbre, se réjouissant de sa chance, tandis que Renart s’enfuit au plus vite.

Mais Renart est bientôt rattrapé par ses poursuivants :  Noble et ses barons le capturent et décident de le mettre à mort. Une fois de plus, le goupil exige d’être jugé avant qu’on le condamne. Il accuse Chanteclerc et l’ensemble de la cour d’avoir voulu l’enterrer vivant : ce sont eux les coupables, pas lui ! Chanteclerc demande à défendre son innocence par un combat contre Renart : le vainqueur sera dans son bon droit. Renart et Chanteclerc s’affrontent :  le coq lui crève un œil et lui arrache une oreille. Se voyant vaincu, Renart fait le mort, et on laisse sa dépouille au bord d’un fossé. C’est alors que Rohart le corbeau et dame Brune la corneille s’approchent du corps. Voilà Renart soudainement guéri qui s’empare de Rohart et lui arrache une cuisse. Il court ensuite se réfugier à Malpertuis. En apprenant cette nouvelle, Noble est furieux et il envoie une fois de plus Grimbert chercher Renart dans son château. Mais le goupil refuse de le suivre : il est bien mal en point, et il sait que le roi lui en veut beaucoup. Il demande à Grimbert d’annoncer à la cour qu’il a succombé à ses blessures. Si on le croit mort, on ne l’ennuiera plus !  Grimbert s’exécute et annonce à tous que Renart est mort et enterré. Noble laisse éclater son chagrin : il a perdu le meilleur de ses barons  !

Branche XVII.

 

1.  Courrier : messager.

2.  Teneur : contenu.

3.  Me mande-t-il : m’appelle-t-il.

4.  Bière : cercueil.

5.  Débauche de lumières : quantité de lumières.

6.  Vigiles des morts : messe célébrée à la mort de quelqu’un.

7.  Archiprêtre : curé de certaines églises.

8.  Office : célébration religieuse.

9.  Autel : à l’église, table où le prêtre célèbre la messe.

10.  Martyre : personne qui a souffert et qui est morte pour sa foi.

11.  Châsse : coffre où l’on garde les reliques d’un saint.

12.  Goutte : maladie.

13.  Liturgiques : qui concernent une cérémonie religieuse.

14.  Mâtin : gros chien.

15.  Macérations : souffrances que l’on s’inflige pour manifester sa foi.

16.  Sermon : discours religieux pour instruire les fidèles.

17.  Trépasser : mourir.

18.  Imparti : attribué.

19.  Apôtre : nom donné aux douze disciples de Jésus. Ici, désigne une personne qui prêche l’Évangile.

20.  Édifiant : exemplaire.

21.  Encensoir : petit récipient où l’on brûle de l’encens lors d’une cérémonie religieuse.

22.  Milan : rapace.

23.  Cortège funèbre : défilé de personnes qui suivent un corbillard lors d’un enterrement.

24.  Avait fait diligence : avait agi avec rapidité.

25.  Sus à lui : attrapons-le.

26.  Sans équivoque : de façon claire et nette.

27.  Molosse : gros chien.

28.  Pantois : déconcerté face à un événement imprévu.

29.  Étendard royal : drapeau qui porte l’emblème du roi.

30.  Tourne bride : à cheval, change de direction.

Le Roman de Renart

Clefs d’analyse

Action et personnages

1.  Dans le résumé en italique, qu’apprend-on sur les relations entre Renart et le roi ? En quoi est-ce étonnant ?

2.  Que font Renart et Ysengrin ? Là encore, qu’y a-t-il de surprenant ?

3.  Dame Fière intervient pour sauver Renart : cette attitude est-elle logique par rapport au précédent épisode (« Le siège de Malpertuis ») ?

4.  Quelles sont les différentes étapes de la cérémonie funèbre ?

5.  Relevez tous les éléments qui montrent la richesse et la beauté de la cérémonie. Pouvait-on s’attendre à un tel enterrement pour Renart ?

6.  Qu’est devenue Pinte ? En quoi son rôle est-il toujours parodique ?

7.  Quelle est la première action de Renart quand il se réveille ? Cette action est-elle en accord avec l’éloge qui vient d’être prononcé ?

8.  Par quel moyen Chanteclerc parvient-il finalement à s’échapper ? Un tel dénouement à l’aventure est-il nouveau ?

9.  Par quelle ruse Renart échappe-t-il à la convocation de Noble ?

Langue

10.  Relevez tous les mots qui constituent le champ lexical de la religion et vérifiez la définition de chaque terme.

Genre ou thèmes

11.  Dans le dénouement d’une histoire, le narrateur rassemble souvent tous les personnages : montrez que c’est le cas ici et classez les différents personnages selon qu’ils ont eu un rôle principal ou secondaire dans les précédentes aventures.

12.  Relevez dans cette dernière histoire tous les événements qui rappellent des épisodes antérieurs.

13.  Pourquoi les auteurs ne veulent-ils pas faire mourir Renart ?

14.  Que pensez-vous de l’éloge de Renart que fait Bernard l’archiprêtre ?

15.  Relevez dans cet éloge tous les conseils moraux qui pourraient s’adresser au lecteur. Comment s’appelle ce type de discours prononcé par un prêtre à un groupe de fidèles ?

Écriture

16.  Imaginez un dernier épisode où Renart trouve vraiment la mort.

17.  Vous avez désormais fini Le Roman de Renart. Vous rédigerez une petite lettre à l’un de vos amis où vous lui conseillez ou déconseillez de lire ce texte. Appuyez-vous sur plusieurs arguments pour le convaincre.

Pour aller plus loin

18.  Recherchez ce que raconte la légende de Tristan et Iseult. Quels éléments de cette histoire peuvent faire penser aux relations entre Renart et Fière dans l’ensemble du Roman de Renart ?

À retenir

La branche XVII raconte le dénouement des aventures de Renart. L’ensemble des personnages est alors rassemblé autour du héros mort. Mais, de façon surprenante, on assiste à un éloge de Renart ! On peut l’expliquer par un jeu de retournement comique : le rusé devient un saint, et l’idiot, un sage. Ou peut-être s’agit-il d’une critique de l’Église qui préfère parfois taire les fautes d’un seigneur pour ne pas perdre certains privilèges…

Le Roman de Renart

POUR APPROFONDIR

Le Roman de Renart

Le Roman de Renart

Thèmes et prolongements

  La structure du récit

Le Roman de Renart frappe par sa variété : quel rapport existe-t-il entre  «  Le jugement de Renart » et « Renart et Tibert » ? À part les mêmes personnages, le ton et les thèmes sont bien différents. Il existe pourtant des liens que l’analyse de la structure met en évidence.

Une composition originale

Le Roman de Renart, on l’a dit, n’a rien d’un « roman »  : c’est une suite de récits brefs, plus ou moins bien reliés entre eux, qui ont pour point commun un héros, Renart le goupil. On illustre cette structure par l’image d’un arbre : plusieurs branches sont rattachées à un tronc commun, le roman lui-même, même si elles possèdent chacune leur autonomie. Par exemple, l’auteur de la branche I commence par ces mots : « Pierrot […] laissa le meilleur de son sujet en omettant les plaidoiries et le jugement qui se déroulèrent à la cour de Noble le lion. » La branche I vient donc compléter un récit antérieur, la branche II, dont elle raconte un nouvel épisode (ainsi, le numéro des branches ne correspond pas à leur ordre d’écriture  !). En fait, cette technique d’écriture ressemble aux séries télévisées d’aujourd’hui : en reprenant les mêmes personnages (Renart, Ysengrin…), un même cadre (la campagne), chaque épisode raconte une nouvelle aventure, avec un début et une fin.

Ces branches peuvent être rassemblées en trois grands groupes :

1. Un récit d’origine (« La naissance de Renart ») qui a pourtant été écrit après les autres ! Le goupil avait tellement de succès qu’on a voulu reconstituer sa vie en imaginant sa naissance.

2. Des récits brefs (« Les aventures de Renart ») qui racontent chaque fois un conflit entre le goupil et un autre animal. Ces récits sont les plus anciens et ce sont eux qui ont rendu Renart célèbre.

3. Trois récits plus longs (« Le jugement de Renart », « Le siège de Malpertuis » et « La mort de Renart ») qui inventent de nouvelles péripéties jusqu’à la fausse mort du goupil.

Le schéma narratif des aventures de Renart

Les aventures de Renart suivent toutes le schéma narratif d’un conte. Voici par exemple les différentes étapes de deux épisodes.

Retour des mêmes motifs : la quête et la ruse

En plus de leur héros, le goupil, toutes les aventures de Renart ont en commun deux motifs : la quête et la ruse.

Chaque épisode commence avec une quête, les personnages sont à la recherche d’une chose : de nourriture dans « Les aventures de Renart » et « La mort de Renart », de justice dans « Le jugement de Renart », et du goupil lui-même dans « Le siège de Malpertuis ». À la fin de l’épisode, soit le personnage est satisfait dans sa quête, soit il est déçu et promet alors de se venger.

Au cours de ces aventures, la ruse est souvent le moyen d’atteindre le but recherché. Mais il arrive que la ruse soit accomplie de façon gratuite, pour le seul plaisir de tromper l’autre (par exemple, « La pêche à la queue »). Il arrive aussi que Renart soit victime de ses ruses, comme c’est le cas avec Tibert.

Des personnages mi-hommes, mi-bêtes

Qui sont Renart et ses compagnons  ?  De simples animaux qui se jouent des tours ou des êtres humains en guerre les uns contre les autres  ?  Le texte joue sans cesse de cette ambiguïté, qui est l’un de ses charmes.

Des animaux qui ressemblent à des hommes

Ce qui surprend le plus à la lecture du Roman de Renart, c’est que les personnages sont à la fois des bêtes et des hommes. Le texte utilise en effet la figure de la personnification qui consiste à donner aux animaux des comportements humains. Par exemple, au début du « Vol des poissons », Renart est décrit comme un animal, avec « les babines retroussées », des « pattes », et une peau que les marchands convoitent. Mais le texte mélange caractéristiques animales et humaines puisqu’à la fin de l’histoire Renart adresse des paroles moqueuses aux marchands, s’enfuit à cheval et rentre dans son château où ses fils « lui nettoient les jambes ». Ce savant dosage entre l’homme et la bête explique sans doute le succès de l’œuvre : les animaux représentent des types humains dans lesquels les hommes du Moyen Âge se reconnaissent. Ainsi, Renart est le type du vassal félon ; Ysengrin incarne la sottise ; Hersent fait penser à la femme sensuelle et immorale, et Couart le lièvre, à un homme lâche, dénué de courage. D’ailleurs, au fil des branches, les animaux deviennent de plus en plus humains. Dans « Le jugement de Renart » par exemple, l’enterrement de la poule ressemble vraiment aux funérailles d’une grande dame.

Le personnage de Renart

Le goupil est le héros, aux deux sens du terme, de l’œuvre. D’abord, il est le personnage principal, car le seul à être présent dans tous les épisodes, sans exception. Ensuite, il est supérieur aux autres animaux, qu’il réussit à tromper grâce à sa ruse. Mais attention, il ne s’agit pas d’un héros comme Lancelot ou Perceval : Renart dépasse les autres personnages non par ses qualités mais par ses défauts. C’est en effet un personnage fourbe, déloyal et impie (il offense la religion à plusieurs reprises). D’ailleurs, la couleur rousse de son pelage est un indice de son caractère maléfique, car au Moyen Âge, on considère les roux comme des traîtres.

Par ailleurs, socialement, le goupil représente un seigneur. Il possède un cheval, un château, est marié à Hermeline, « courtoise et noble », et, en tant que vassal du roi, il est convoqué à la cour de Noble dans « Le jugement de Renart ». Mais là encore, il ne se conduit pas comme un seigneur le devrait : il ne respecte pas sa parole, se montre infidèle envers son épouse et en vient même à faire la guerre au roi  ! 

Adjuvants et opposants

Tous les autres personnages se définissent par rapport à Renart : soit ils l’aident (adjuvants), soit ils sont ses ennemis (opposants).

Les adjuvants sont peu nombreux, car Renart n’épargne personne ! C’est surtout sa famille qui prend sa défense : son cousin Grimbert le blaireau et sa femme Hermeline. Quant à Fière, la femme de Noble, elle est aussi l’alliée de Renart lorsqu’elle lui donne son anneau et le soigne.

Les opposants, en revanche, sont en grand nombre. Parmi eux, Ysengrin le loup est l’ennemi principal du goupil. Renart prend un malin plaisir à lui jouer des tours, car le loup est très sot et ridicule. Les autres se répartissent en animaux comestibles, que Renart cherche à manger, et en plaignants, présents au procès de Renart. Deux autres cas se distinguent : celui de Tibert le chat, adversaire redoutable et souvent supérieur au goupil, et celui des hommes, paysans hostiles aux bêtes sauvages, qui dénouent certaines aventures lorsqu’ils surgissent avec leurs chiens.

Le comique

La vocation du Roman de Renart est clairement affichée par l’un de ses auteurs : « Il vaut mieux que je vous raconte une histoire qui vous fasse rire… » Le comique, sous différentes formes, est en effet au centre du texte.

Le comique de farce

Dans la farce, tous les moyens sont bons pour déclencher le rire. Un tel comique se passe souvent de mots : il suffit de ridiculiser le corps pour provoquer l’hilarité. Ainsi, quand Ysengrin se fait tonsurer ou couper la queue, on se moque de sa souffrance.

Lorsque les mots font rire, c’est parce qu’ils sont grossiers ou grivois (c’est-à-dire faisant allusion à la sexualité). La pauvre Hersent est le personnage qui en fait surtout les frais. Renart, après avoir couché avec elle, traite ses louveteaux de « sales bâtards » et leur « pisse » dessus ! De même, quand Ysengrin croit sa femme avec Renart au fond du puits, il l’insulte : « Sale pute, espèce de salope, je t’y prends avec Renart » !  Pour le public du Moyen Âge, l’utilisation de mots interdits, ou l’allusion à des situations condamnées par la morale ou la pudeur, est une source de comique.

Enfin, la construction de certains épisodes fait elle aussi sourire, notamment avec le schéma du « trompeur trompé ». Avec Chanteclerc par exemple, Renart trompe la vigilance du coq en le fattant et parvient ainsi à l’attraper. Mais à la fn de l’histoire, la situation se retourne et c’est Chanteclerc qui trompe le goupil et réussit à s’échapper. Le lecteur rit de bon cœur en voyant le « maître ès ruses » puni et s’amuse de la surprise provoquée par ce dénouement inattendu.

La satire

Un texte satirique critique un type de caractère ou un groupe social en s’en moquant. Comme dans les fables, le but est de tirer une leçon morale en dénonçant des défauts.

On trouve d’abord la satire des caractères. Chaque animal représente un défaut humain : avec Ysengrin, on critique la sottise, avec Chanteclerc et Tiécelin, la vanité des hommes, avec Hersent et Fière, l’infdélité des femmes. Mais la visée morale n’est pas si évidente... En effet, si Renart se moque des défauts des autres, il ne vaut pourtant pas mieux ! Et le lecteur, en riant de ses tours, se trouve finalement complice du personnage le moins moral de l’œuvre…

La satire sociale est plus franche. Comme on le voit souvent dans les textes du Moyen Âge, les religieux sont l’objet de moqueries plus ou moins directes. On dénonce leur gourmandise et la richesse de leur abbaye, qui s’oppose à l’idéal de pauvreté de l’Église. Ailleurs, le texte mentionne même la « malice » des moines, c’est-à-dire leur volonté de faire le mal… Les croisés sont également montrés du doigt (« qui bon y part, mauvais revient »). Le roi lui même, enfin, apparaît intéressé en renonçant à punir Renart contre une somme d’argent offerte par Hermeline…

La parodie

La parodie est une imitation caricaturale d’un autre texte ou d’un style d’écriture dans le but de faire rire.

Le genre de l’épopée, récit guerrier des exploits de héros légendaires, est régulièrement parodié. Par exemple, à la fin de « La pêche à la queue », le narrateur décrit le combat entre Ysengrin et le vavasseur et ses chiens avec des mots qui rappellent certaines batailles épiques : « Ce fut un combat farouche que celui-là ». Ce qui est drôle ici et donc parodique, c’est que le chevalier est un simple loup dont la queue est prise dans la glace  ! 

La parodie vient aussi du fait qu’on prête aux animaux des sentiments et des discours profondément humains. Ainsi Pinte, devant la cour, exprime son désespoir en une plainte noble et émouvante, mais justement ridicule venant d’une poule, animal réputé pour sa stupidité  ! 

Le réalisme

À la différence des romans de Chrétien de Troyes qui font appel au merveilleux et qui mettent surtout en scène des chevaliers, Le Roman de Renart montre davantage la réalité du Moyen Âge dans sa diversité. C’est pourquoi on a pu parler d’un certain réalisme de l’œuvre.

Le monde de la ferme

Le cadre spatial du roman est surtout celui de la campagne, car les paysans et leurs poulaillers sont les premières cibles du goupil ! De façon réaliste mais un peu schématique, on trouve deux types de paysages dans cette campagne : la forêt, espace sauvage, et les terres cultivées, espace civilisé où se trouvent les fermes. Il faut savoir que, à cette époque, les forêts recouvraient une bonne partie de la France : elles étaient le refuge des animaux dangereux, et parfois même des brigands. Le goupil et les autres bêtes sauvages viennent donc du monde de la forêt, dont ils sont obligés de sortir pour chercher leur nourriture dans les fermes. C’est le cas de Tiécelin par exemple : « La nécessité l’avait chassé du bois et il se dirigeait à tire-d’aile vers un enclos ». Les paysans, de leur côté, se protègent des dangers de la forêt en entourant leur ferme d’une solide clôture, comme celle du père Constant.

Pour ce qui est des paysans, le texte les montre dans leurs activités quotidiennes : on les voit jouer à la balle, affiner des fromages, saler le jambon, chasser les bêtes sauvages… Mais ce réalisme s’avère partiel, car seuls les paysans riches (ceux qui possèdent des poules) sont évoqués. De même, la ferme n’est décrite qu’en fonction du regard du goupil, et c’est surtout le poulailler qui attire son attention  ! 

Le monde de l’abbaye

Grâce aux intrusions du goupil dans les poulaillers des cloîtres, le récit offre un aperçu de la vie des moines. L’abbaye apparaît comme un monde isolé. Tout d’abord, n’y entre pas qui veut. En effet, Renart, se faisant passer pour un moine, défend l’entrée du monastère à Ysengrin : « Nul, s’il n’est moine ou ermite, ne peut loger ici ». Ensuite, l’abbaye est entourée de solides défenses (« des murs en pierre grise fort dure » et « un fossé au bord escarpé »). Enfin, on apprend dans l’épisode du puits que les moines produisent eux-mêmes leur nourriture, ce qui les rend autonomes vis-à-vis de l’extérieur.

En revanche, la vie religieuse des moines n’est évoquée que de façon anecdotique et comique, quand Renart veut forcer Ysengrin à entrer en religion. Là encore, le réalisme a ses limites…

Le monde du château

Si peu de seigneurs « humains » apparaissent dans Le Roman de Renart, tous les animaux, appelés « barons » ou « vassaux », habitent un château et semblent appartenir à cette classe. Ainsi, celui de Renart, au nom évocateur de Malpertuis (« mauvais trou »), est longuement décrit lors de l’épisode du siège. Son plan est conforme à celui du château médiéval traditionnel. Si le palais de Noble n’est pas décrit, on mentionne les repas qui s’y déroulent et les plats qu’on y sert (le « bœuf au verjus »).

Comme dans la réalité médiévale, il existe une hiérarchie parmi les seigneurs. Au bas de l’échelle se trouve le « vavasseur » (vassal de vassal), tel Constant des Granges. Renart et Ysengrin, eux, sont identifiés à des vassaux qui se livrent des guerres privées. Au sommet siège le roi Noble, suzerain de tous.

Le quotidien de ces seigneurs en temps de paix est évoqué, avec, par exemple, une description de la chasse. Avec Le Roman de Renart, on est loin des épopées ou des romans de Chrétien de Troyes où l’on voit le plus souvent les chevaliers combattre avec héroïsme.

Le Roman de Renart

Langue et langages

Le Roman de Renart, début de « La naissance de Renart » 

Voici le texte en ancien français de ce passage : 

Or oiez, si ne vos anuit ! 

Je vos conterai par deduit

Comment il vindrent en avant,

Si con je l’ai trouvé lisant,

Qui fu Renart et Ysengrin.

Je trovai ja en un escrin

Un livre, Aucupre avoit non : 

La trovai ge mainte raison

Et de Renart et d’autre chose

Dont l’en doit bien parler et ose.

A une grant letre vermoille

Trovai une molt grant vermoille.

Se je ne la trovasse ou livre,

Je tenisse celui a ivre

Qui dite eüst tele aventure : 

Mes l’en doit croire l’escriture.

A desonor muert a bon droit

Qui n’aime livre ne ne croit.

Aucupres dit en cele letre

(Bien ait de Dieu qui l’i sot metre ! )

Come Diex ot de paradis

Et Adam et Evain fors mis

Por ce qu’il orent trespassé

Ce qu’il lor avoit commandé.

Pitié l’en prist, si lor dona

Une verge, si lor mostra,

Qant il de rien mestier auroient,

De cele verge en mer feroient.

1. Sans regarder la traduction du texte, retrouvez dans ce passage les mots : « trouvai » , « nom » , « lettre » , « merveille » , « écriture » , « déshonneur » . Quels changements observez-vous entre l’ancien français et le français moderne ?

2. Repérez les deux occurrences du nom propre « Aucupre »  : que constatez-vous ? Quelle est sa fonction dans les deux phrases où il apparaît ? Que pouvez-vous en déduire ? Connaissez-vous d’autres langues où l’on observe le même phénomène ?

3. Quel type de rime et de vers est utilisé dans ce récit ?

4. Le premier vers pourrait être traduit ainsi :  « Écoutez-moi, si cela ne vous ennuie pas ! » . D’après vous, quel verbe en ancien français correspond ici à « écouter »  ? Ce verbe existe-t-il encore ? Trouvez un mot de la même famille utilisé de nos jours.

5. Quel mot dans le texte est traduit en français moderne par « plaisir »  ? Ce mot existe-t-il encore aujourd’hui ?

6. Quelle expression du texte correspond au français moderne « avoir besoin »  ? À quel mot actuel cela fait-il penser ?

Petite méthode

• Au Moyen Âge, l’orthographe n’est pas encore fixée par des dictionnaires. De même, l’ordre des mots, comme en latin, varie dans la phrase.

• C’est pourquoi on utilise encore une déclinaison afin de distinguer un mot en fonction sujet (on ajoute -s au singulier) d’un mot qui n’est pas sujet.

• Certains mots sont presque identiques (« letre »), d’autres ont disparu (« deduit »), d’autres ont changé de sens (« mestier »).

Le Roman de Renart

Outils de lecture

Vocabulaire du Moyen Âge

Ancien français :  langue intermédiaire entre le latin et le français moderne. C’est le français du Moyen Âge, appelé aussi « langue romane » ou « roman ».

Branche :  récit indépendant comprenant une ou plusieurs aventures de Renart.

Copiste :  dans un couvent, moine chargé de recopier les manuscrits.

Croisade :  expédition militaire entreprise par les chrétiens (dits « croisés ») pour reprendre Jérusalem aux Turcs.

Enluminure :  décor peint ou dessiné ornant un manuscrit.

Fabliau :  petit conte comique et réaliste, à visée satirique.

Félon :  vassal déloyal envers son seigneur, traître.

Féodalité :  système hiérarchique qui unit un vassal (seigneur inférieur) à son suzerain (seigneur supérieur).

Fief :  domaine qu’un vassal obtient de son seigneur en échange de certains services.

Goupil :  ancien nom du renard.

Jongleur :  au Moyen Âge, poète ambulant qui racontait des histoires de cour en cour.

Manuscrit :  tout texte écrit à la main. Certains manuscrits, très ornés, sont de véritables œuvres d’art.

Moine :  religieux qui vit dans un couvent.

Moyen Âge :  période intermédiaire entre l’Antiquité et la Renaissance, que l’on fait débuter en 476 (chute de l’Empire romain d’Occident) et finir en 1453 (prise de Constantinople par les Turcs) ou en 1492 (découverte de l’Amérique).

Roman :  au Moyen Âge, texte écrit en ancien français, et non plus en latin.

Vavasseur :  vassal d’un vassal, c’est-à-dire au dernier rang dans la hiérarchie chevaleresque.

Vilain (du latin villa, la « ferme ») : paysan libre, par opposition au serf.

Vocabulaire d’analyse littéraire

Adjuvant :  qui aide le héros dans sa quête. Contraire de l’opposant.

Champ lexical :  ensemble de mots se rapportant à un thème.

Comique :  ce qui fait rire (comiques de mots, de gestes, de situation et de caractère).

Comparaison :  rapprochement de deux objets, à partir d’une ressemblance, à l’aide d’un outil de comparaison.

Dénouement :  résolution d’une histoire.

Destinataire :  celui à qui on s’adresse.

Discours :  paroles d’un personnage qu’on rapporte dans un récit.

Farce :  pièce de théâtre qui cherche avant tout à faire rire, souvent avec des procédés très simples et grossiers.

Narrateur :  celui qui raconte l’histoire.

Octosyllabe :  vers de huit syllabes.

Opposant :  qui gêne la quête du héros. Contraire de l’adjuvant.

Parodie :  imitation comique d’un texte.

Personnification : figure de style qui donne à un objet ou à un animal les caractéristiques d’une personne.

Prose :  texte qui n’est pas dit ou écrit en vers.

Réalisme :  fait de représenter fidèlement la réalité.

Rimes suivies :  type de rime utilisé dans Le Roman de Renart qui suit le schéma AABBCC, etc.

Satire :  critique moqueuse d’un caractère, d’une classe sociale ou d’une institution.

Schéma narratif :  étapes du conte (situation initiale, élément perturbateur, péripéties, élément de résolution et situation finale).

Synonymes :  mots qui ont le même sens.

Types de phrases :  il en existe quatre (déclaratif, interrogatif, impératif et exclamatif).

Le Roman de Renart

Bibliographie et filmographie

Éditions du Roman de Renart

Le Roman de Renart, tomes I et II, texte bilingue, traduction de Micheline de Combarieu Du Grès et Jean Subrenat, 10/18, 1981.

Le Roman de Renart, tomes I et II, texte établi et traduit par Jean Dufournet et Andrée Méline, Garnier-Flammarion, 1985.

Adaptations modernes de l’œuvre

Le Roman de Renard, de Maurice Genevoix, Plon, 1968.

  L’une des adaptations les plus fidèles du récit médiéval.

Le Roman de Renart, de Jean-Claude Forest et Max Cabanes, Futuropolis, 1985.

  Une adaptation assez libre de l’œuvre, entre le texte illustré et la bande dessinée.

Le Roman de Renart, tome I : « Les Jambons d’Ysengrin », de Jean-Marc Mathis et Thierry Martin, Delcourt (jeunesse), 2007.

  Une façon ludique de découvrir les aventures de Renart en bande dessinée.

Le Roman de Renart, histoire racontée par Jean Rochefort, Frémaux & Associés, 2003.

  Un CD qui permet de découvrir les aventures du goupil par la voix de Jean Rochefort.

Le Roman de Renart, film français d’animation de Ladislas Starevitch, 1929.

  Une adaptation originale de l’œuvre au cinéma, où les personnages sont incarnés par des marionnettes.

Sur le Moyen Âge

Explorer le Moyen Âge, cédérom d’Anne Doustaly et Patricia Victorin, Nouveau Monde, 2002.

Histoire de France : le Moyen-Âge, éditions du Rocher.

Au temps des chevaliers et des châteaux forts, de Pierre Miquel, « La Vie privée des hommes », Hachette jeunesse, 1976.

Autres textes comiques du Moyen Âge

Fabliaux et contes du Moyen Âge, choix et traduction de Jean-Claude Aubailly, Le livre de poche, 1987.

  De courts récits réalistes et comiques qui permettent de découvrir la vie pittoresque des hommes du Moyen Âge. Les aventures sont proches de la farce et la ruse est bien souvent le ressort principal de l’histoire.

La Farce de Maître Pathelin, traduction de Guillaume Picot, « Petits Classiques Larousse », 2000.

  Un avocat sans le sou use de toute sa ruse pour se procurer l’habit dont il a besoin. Des tromperies plus drôles les unes que les autres s’enchaînent dans cette farce qui connut dès le Moyen Âge un franc succès.

Autres textes mettant en scène des animaux

Fables de La Fontaine, « Petits Classiques Larousse », 2007.

Histoires ou contes du temps passé, de Charles Perrault, « Petits Classiques Larousse », 1999.

  On peut y lire en particulier les célèbres contes du « Petit Chaperon rouge » et du « Maître Chat ou le Chat botté ».

Les Contes du chat perché, de Marcel Aymé, Gallimard, 1939.

  Delphine et Marinette, filles de paysans, habitent une ferme où les animaux sont leurs amis. Ils parlent comme des hommes et protègent les fillettes de leurs méchants parents !

La Ferme des animaux, de George Orwell, Gallimard, 1950.

  Dans une ferme, les animaux décident de prendre le pouvoir sur les hommes et de gérer eux-mêmes leur ferme. Mais les cochons entendent peu à peu dominer les autres animaux… Une satire du totalitarisme.

La Planète des singes, de Pierre Boulle, Julliard, 1963.

  Sur une planète lointaine, ce sont les singes qui gouvernent, tandis que les hommes sont restés au stade de l’animal.

Le Roman de Renart

ONT COLLABORÉ À CE PETIT CLASSIQUE

Direction de la collection : Yves GARNIER et Line KAROUBI

Direction éditoriale : Line KAROUBI

Édition : Marie-Hélène CHRISTENSEN

Lecture-correction : service lecture-correction LAROUSSE

Direction artistique : Uli MEINDL

Couverture et maquette intérieure : Serge CORTESI, Sylvie SÉNÉCHAL, Uli MEINDL

Dessin de couverture : Alain BOYER

Responsable de fabrication : Marlène DELBEKEN

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