Première partie
LE CRIME
 
Marseille est vide. La chaleur et les trois jours de vacances de la Pentecôte ont drainé sa population vers les plages. Ce lundi 3 juin 1974, le soleil brille et un vent chaud balaie la ville. Marie-Dolorès Rambla, dont on a fêté la semaine précédente le huitième anniversaire, joue avec son frère Jean, six ans, dans une cour de la cité Sainte-Agnès. Leurs parents n'ont pas de voiture. La cité Sainte-Agnès, située dans le quartier des Chartreux, est constituée par un ensemble de bâtiments moroses. Elle donne sur la rue Albe. A moins de cent mètres, c'est la rocade du Jarret, l'une des principales artères d'accès à Marseille.
Comme la plupart des cités populaires de la ville, celle-ci est dépourvue de terrains de jeux ou de sport. Les enfants doivent s'ébattre dans les cours. Une pancarte comminatoire indique que les patins sont interdits, de même que les jeux de ballon et, d'une manière générale, les jeux bruyants. En cas d'infraction, le gardien assermenté verbalisera.
Mme Rambla est dans son logement, au premier étage du bâtiment C-7, avec ses deux plus jeunes enfants. Elle sait que les aînés s'amusent dans la cour avec deux petits voisins, compagnons de jeux habituels. Vers onze heures, elle jette un coup d'œil par la fenêtre de la salle à manger. Marie-Dolorès et Jean sont seuls. Elle se penche et leur demande de remonter. Marie-Dolorès répond : « Encore un petit moment... » Quelques minutes plus tard, et regardant cette fois par la fenêtre de la cuisine, qui s'ouvre sur l'autre côté du bâtiment, elle aperçoit Jean et lui demande où est sa sœur. « Elle cherche le chien », répond l'enfant. Mme Rambla ignore de quel chien il peut s'agir et croit à un jeu. Encore quelques minutes et elle aperçoit de nouveau le petit Jean par la fenêtre de la cuisine. Elle lui redemande où est Marie-Dolorès. L'enfant répond : « Je ne la trouve pas. »
Pierre Rambla rentre chez lui vers onze heures vingt. Ouvrier-boulanger au « Pompon rouge », boulevard Notre-Dame, il est en congé de maladie depuis quinze jours. Il aperçoit son fils errant entre les bâtiments. Jean explique qu'il est à la recherche de Marie-Dolorès. Le père se joint à lui et apprend ce que le petit Jean racontera bientôt aux policiers chargés de l'enquête :
« Je jouais avec ma sœur aînée, Marie-Dolorès, devant les bâtiments de la résidence où nous habitons. Nous nous amusions d'ailleurs devant le premier bâtiment de la cité, là où il y a trois garages. Nous étions seuls. Deux amis de ma sœur, et qui habitent la cité, venaient de nous quitter pour partir avec leurs parents.
« Un homme en voiture est arrivé. Il a garé son auto devant un des garages. Il est descendu et nous a parlé. Il m'a d'abord demandé de chercher son gros chien noir, qu'il venait de perdre. Il a demandé à ma sœur de rester auprès de lui.
« Je suis parti derrière le bâtiment et j'ai fait le tour de la cité pour chercher le gros chien noir. Je ne l'ai pas trouvé et je suis revenu à l'endroit où ma sœur et le monsieur m'attendaient. Il n'y avait plus personne, ni ma sœur ni le monsieur, et la voiture était partie. J'ai recherché ma sœur partout dans la cité et je ne l'ai pas retrouvée.
« Le monsieur avait une voiture grise. C'était un homme jeune, pas un vieux. Il avait un costume gris. Il parlait comme les gens d'ici. Il était grand et il avait des cheveux noirs et courts.

« C'est la première fois que je voyais ce monsieur. Je pense que je pourrais reconnaître ce monsieur. »
Pierre Rambla, très inquiet, élargit le cercle de ses recherches et interroge plusieurs voisins. Personne n'a vu ni Marie-Dolorès ni l'inconnu qui a abordé les deux enfants. Il se décide alors à alerter la police.
***
Vincent Martinez, vingt-six ans, maître d'internat, roule sur la nationale 96 en compagnie de sa fiancée, Claude Bonafos, vingt-trois ans. Ils viennent d'Aix-en-Provence et se dirigent vers Toulon. Leur voiture, une R 16 blanche, aborde le lieu-dit La Pomme vers midi et demi. La nationale 96 croise ici la nationale 8 bis, menant à Marseille. Le croisement se situe à vingt kilomètres de Marseille.
Vincent Martinez aperçoit le croisement sur sa droite mais il a priorité: un panneau « stop » impose l'arrêt aux conducteurs venant de Marseille. Un coupé 304 Peugeot, gris métallisé, arrive précisément de cette direction. Son conducteur ne respecte pas le « stop ». Malgré le coup de frein de M. Martinez, le choc est inévitable. Sa Renault 16 percute contre l'arrière du coupé Peugeot et fait pivoter le véhicule. Le coupé, après un tête-à-queue complet, se retrouve face à la direction d'où il venait. Le chauffeur appuie sur l'accélérateur et disparaît dans cette direction, c'est-à-dire vers Marseille. Ni M. Martinez ni sa fiancée ne sont blessés mais leur voiture est immobilisée: l'aile gauche est profondément enfoncée. Ils ne peuvent poursuivre le chauffard. Mais voici qu'arrive une Renault 15 bleue occupée par un couple. Le conducteur accepte de se mettre en chasse. Il disparaît à son tour en direction de Marseille. Quelques minutes plus tard, il revient avec le numéro minéralogique du coupé 304, qu'il a retrouvé stoppé à environ un kilomètre de là. Vincent Martinez note le numéro — 1369 SG 06 — ainsi que l'identité du conducteur de la Renault 15 : Alain Aubert, demeurant à Toulon.