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Sophie n’avait pas entendu sonner le réveil, ce matin-là, et elle arriva au bureau tout essoufflée, cinq minutes après l’heure. Elle détestait être en retard. Adressant au passage un rapide salut à la réceptionniste, elle traversa l’étage sans ralentir pour gagner les bureaux de la direction tout en recoiffant du bout des doigts ses cheveux blonds coupés au carré.

La porte du bureau de Zach était ouverte. Comme elle l’avait craint, Zach Lassiter était encore arrivé au travail avant elle. C’était très fâcheux, non seulement parce qu’elle faisait de son mieux pour que l’entreprise continue à fonctionner de manière efficace, mais aussi parce qu’elle avait besoin de fouiller discrètement son bureau. Il dissimulait quelque chose, elle le savait.

Elle voulut jeter son sac à main sur un coin de sa table de travail, mais manqua son but. Le sac atterrit sans bruit sur l’épaisse moquette, répandant son contenu à ses pieds.

Elle s’accroupit pour rassembler les articles épars et les remit précipitamment à leur place — une place pour chaque chose, c’était sa devise depuis toujours. Lorsqu’elle se redressa, elle tenait toujours dans sa main la photo qu’elle emportait partout avec elle. Elles étaient si jeunes et innocentes, alors…

Elles avaient été victimes des circonstances.

Une nouvelle fois, elle se jura de retrouver sa demi-sœur. Elle se devait de le faire, pour elles deux. Et elle n’avait jamais été si près de réussir. Le dernier rapport du détective privé qu’elle avait engagé pour cela suggérait qu’il était sur une piste intéressante. Cette idée l’avait tenue éveillée une bonne partie de la nuit, et elle n’avait pas entendu son réveil.

— Deux très jolies petites filles, dit une voix derrière elle, la faisant sursauter.

Elle fit volte-face et découvrit le sourire à couper le souffle dont Zach avait le secret, et qui la plongeait invariablement dans une sorte de transe. Il lui tendait une tasse de café, et Sophie la prit en luttant de toutes ses forces pour empêcher sa main de trembler. Depuis dix-huit mois, elle s’efforçait de lutter contre cette attirance insensée qu’elle ressentait pour lui, mais, aujourd’hui encore, elle échouait misérablement. C’était déjà très difficile lorsqu’ils ne faisaient que partager un espace de travail, alors, depuis qu’elle était appelée à travailler directement sous ses ordres, c’était devenu quasi impossible.

— C’est moi qui suis censée vous apporter du café, remarqua-t-elle d’une voix douce. Désolée pour le retard.

— Pas de problème. J’en préparais pour moi. Est-ce vous, sur la photo ?

C’était une photo d’enfants comme on en voit des milliers. Des frères et sœurs, les plus âgés derrière, les petits devant. Des sourires enfantins, des coiffures identiques : queues-de-cheval, franges au ras des sourcils. La plus âgée avait le regard fixé tout droit sur l’objectif. La cadette — quatre ans et un visage de chérubin — regardait ailleurs, comme distraite par un événement extérieur. Sophie avait oublié quoi, mais elle se souvenait distinctement de la sensation de la frêle épaule de sa sœur sous ses doigts, de la douce chaleur du corps de Susannah, qui se serrait contre elle comme chaque fois qu’elle ne se sentait pas tout à fait à l’aise dans une situation.

— Oui, répondit-elle. C’est moi avec ma jeune sœur.

— Etes-vous proches, toutes les deux ?

— Plus maintenant, éluda-t-elle.

Le père de Suzie — le beau-père adoré de Sophie — était décédé brutalement peu de temps après cette photo. Leur mère ne parvenant plus à assurer leur subsistance, Suzie était allée vivre chez la sœur de son père. Veuve de fraîche date et financièrement indépendante, la tante de Suzie avait reçu à bras ouverts la fille unique de son frère. Presque du jour au lendemain, les deux familles avaient rompu tout contact — il avait été décidé, à l’époque, que c’était dans l’intérêt des enfants. Sophie n’avait pas revu Suzy depuis plus de vingt ans. Et, même si elle avait appris à le masquer, elle ressentait toujours le vide de cette absence dans son cœur.

Elle effleura le bord usé de la photo avant de la glisser de nouveau dans son sac. Elle faisait tout ce qui était en son pouvoir pour retrouver la trace de sa sœur et, pour le moment, elle devrait s’en contenter. Elle rangea le sac dans le tiroir inférieur de sa table de travail, qu’elle ferma à clé. Même ici, en plein centre de la petite ville de Royal, Texas, Sophie ne prenait aucun risque.

Ce n’était pas dans sa nature.

Comprenant à l’évidence que le sujet de sa sœur était clos, Zach changea de sujet.

— Qu’avez-vous à votre agenda, aujourd’hui ?

Sophie lui fit un résumé succinct des différentes tâches qu’elle avait prévues pour la journée en l’absence de son patron, avant d’ajouter :

— A moins, bien sûr, que vous n’ayez une mission différente à me confier. Rien de tout cela n’est très urgent, surtout maintenant qu’Alex est absent du bureau.