Introduction
LA LOI du 2 janvier 2002 fait de l’évaluation une nécessité incontournable pour toutes les institutions sociales et médico-sociales. Les 30 000 établissements et services du secteur doivent dorénavant évaluer, à l’interne, la qualité des prestations qu’ils délivrent. Cette auto-évaluation institutionnelle sera soumise à l’appréciation d’une évaluation externe, réalisée par des prestataires ayant reçu habilitation du Conseil national de l’évaluation sociale et médico-sociale (CNESMS). Enjeu majeur pour les institutions : du caractère favorable de l’évaluation externe dépendra le renouvellement de l’autorisation d’exercer.
Avec la loi de 1989, l’évaluation avait pris rang de mission dans les départements. L'application progressive des dispositions de la loi 2002-2 accentue l’importance de l’évaluation, en accélère la mise en œuvre. Le mouvement s’engage progressivement. Qui sait aujourd’hui où il mène les pratiques du social ? Entre amélioration de la qualité des prestations et hypertrophie du contrôle social, il est encore difficile d’anticiper sur l’évolution du secteur à l’aune de l’évaluation moderne. On comprend la stupeur des professionnels. Piqué par l’aiguillon, le social « post-deux-mille-deuxien » cherche aujourd’hui ses marques parmi les théories et méthodes qui se réclament de l’évaluation. De toutes parts, les outils nouveaux surgissent. Parmi les courants en vogue, la démarche qualité venue de l’entreprise donne naissance à un foisonnement d’instruments censés évaluer la qualité du service rendu à l’usager.
Mais ces outils, que valent-ils ? Il est essentiel d’adopter un regard critique sur les nouveaux instruments. Faire œuvre de pondération, peser le pour, le contre, et enfin se prononcer. Ce qui revient très exactement à évaluer comment on évalue. Il importe de ne pas tout gober sous prétexte de nouveauté ou de scientificité. Améliorer la qualité des prestations financées avec les deniers publics est une préoccupation légitime. Il faut limiter les abus commis par les institutions. Certaines fonctionnent mal, très mal, dans l’indignité et l’illégalité. Les affaires récentes ont porté sur le devant de la scène, des pratiques révoltantes jadis couvertes par la complicité générale. Le contrôle s’impose à l’action sociale et la loi sert à l’instituer.
Cependant, au-delà de la nécessaire vigilance, la loi incite également les institutions à exprimer et à expliquer la spécificité de leur savoir-faire, la qualité de leur action sur le terrain au plus près de l’usager. En cela réside la part subtile de l’évaluation interne. Les perspectives ouvertes par le texte sont inquiétantes mais dynamiques. La plupart des acteurs institutionnels, chefs d’établissement et professionnels de terrain, se demande en ce milieu de décennie, à quelle sauce le social sera mangé. Les orientations de l’évaluation sociale et médico-sociale n’ont certes pas fini de varier dans les années qui viennent. Les 30 000 directeurs d’établissement ont tout intérêt à maintenir une veille active devant la montée en force de l’évaluation. Il leur faut impérativement savoir évaluer, non seulement ce qui se passe dans leur établissement, mais encore la manière dont leur établissement sera évalué. Ainsi pourront-ils se situer en interlocuteurs, face aux spécialistes qui viendront pratiquer l’évaluation externe dans leur institution.
Avant d’évaluer, il faut vérifier qu’on sait le faire. Il s’agit d’évaluer l’évaluation. Bien sûr chacun prétend savoir évaluer. De fait, tout le monde évalue en permanence. L'évaluation triviale existe certainement et chacun l’accomplit au quotidien. Qu’il soit question d’acheter un pantalon, s’offrir un voyage pour les vacances ou renouveler la voiture familiale, on évalue. Mais l’évaluation d’un phénomène social complexe est tout autre chose. A fortiori quand on la pratique en tant que professionnel. L'évaluation des établissements et services impose de comprendre les enjeux émotionnels et relationnels mais aussi politiques, économiques et culturels qui s’entrecroisent et s’entrechoquent sur la scène du social. Cette évaluation professionnelle requiert une aptitude bien spécifique : la compétence évaluative.