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BELGIQUE, NORD, PICARDIE
1. Ardennes : L'infini des Hautes-Fagnes
2. Pas-de-Calais : La balade des Deux Nez
3. Artois : Les mollières de la Canche
4. Picardie : Les oiseaux d'or du Marquenterre
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Ardennes
L'infini des Hautes-Fagnes
Les Ardennes. Autour du point culminant de la Belgique, dans les Hautes-Fagnes de Wallonie, au cœur de l'Europe, entre Liège, Aix-la-Chapelle et Maastricht : une balade au pays du sanglier, dans des tourbières qui ressemblent à des lacs d'herbes d'or, riches d'une flore rare sur laquelle danse encore le coq de bruyère.
En boucle autour de la Baraque Michel, 2 heures 30.
Carte de promenades au 1 : 25 000, Hautes-Fagnes.
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Guillaume Apollinaire les a chantées :


Tant de tristesses plénières
Prirent mon cœur aux Fagnes désolées
Quand, las, j'ai reposé dans les sapinières
Le poids des kilomètres pendant que râlait
Le vent d'ouest


Les Hautes-Fagnes : le cœur de l'Europe après la glaciation… Ne voyez là aucune allusion politique. Il n'est question que de nature. Voici les vestiges d'une vaste tourbière née de la fusion des calottes géantes qui occupaient le continent, en un temps où nos ancêtres de Cro-Magnon chassaient le mammouth, le bison et le renne. Je veux m'imprégner de cette atmosphère, de l'odeur aigrelette de la tourbe, du murmure des sources, des brouillards qui s'effilochent. Je regarde l'étendue d'herbes. Un lac de science-fiction saisi par le givre. Un simulacre de glaciation nouvelle… Je me balade en compagnie du plus passionné des Fagnards : Franck Renard. Il est garde forestier dans les Ardennes. Son secteur domine Spa. La vigueur des arbres qu'il protège garantit la pureté d'une eau fameuse.
DE LA BARAQUE MICHEL À LA FONTAINE PÉRIGNY,
0 heure 15
Décembre. Franck sourit en soulignant qu'il fera peut-être un peu froid. Un panache de vapeur s'élève de sa bouche quand il parle. La glace a pris possession des Hautes-Fagnes. Millions d'éclairs, de cristaux, de paillettes d'argent, de mercure, d'aigue-marine. Nous ajustons nos bonnets, nos gants, nos fourrures polaires. Nous sommes à la Baraque Michel. Michel qui ? Michel Schmitz. En 1808, ce valet de ferme construisit ici une cabane de tourbe. La légende raconte qu'un hiver, dans une tempête de neige, il perdit les croix du chemin. Il implora la Vierge et jura, s'il survivait, de bâtir un refuge pour les voyageurs. Une éclaircie lui montra sa masure. Il planta son bâton sur le lieu du miracle. Au printemps, il jeta les fondations de l'auberge qui trône encore près de la route.
En marche. Panneau d'information sur la Réserve naturelle domaniale des Hautes-Fagnes. Zones A, B, C, D, dans l'ordre croissant de sévérité des règles protectrices. Pancarte : « Sentier de promenade. Eupen, 22 kilomètres. » Le climat de cette crête ardennaise mérite le qualificatif de « rigoureux ». Chaque année, on compte ici, en moyenne, cinquante jours de brouillard, 1,30 mètre de pluies (90 centimètres à Bruxelles), cent jours de gel, quarante de neige. Le thermomètre marque souvent moins vingt. Contrée âpre, où l'on se rappelle la tragique histoire des « Fiancés de la Fagne ». Janvier 1871 : Marie Solheid et François Reiff voulurent se rejoindre, mais s'égarèrent. On retrouva leurs corps au printemps ; elle, à peine à 2 kilomètres de la Baraque Michel.
La Baraque Michel… 672 mètres d'altitude. (Six cent septante-deux. Vous ne voudriez pas que j'écrive « soixante-douze » ?) Quatre mésanges nonnettes s'égaillent. Un traquet tarier — poitrine ocre, tête striée de blanc et de brun — nous salue de ses piou-piou. Un bosquet de bouleaux, de hêtres, d'épicéas, d'aulnes et de sorbiers des oiseleurs résonne des appels du bec-croisé des sapins. Au pied des arbres, croissent la fougère-aigle, le laurier de Saint-Antoine, l'airelle myrtille et la callune fausse-bruyère. Transition vers l'immensité d'herbes jaunes, que le givre transfigure. Je goûte la splendeur monochrome de ces graminées dont l'empire touche le gris du ciel à l'horizon.
Pour le botaniste, il s'agit de molinies bleues. Molinia coerulea. L'espèce colonise les landes humides d'Europe, d'Asie, d'Afrique du Nord et d'Amérique du Nord. Tenace, conquérante, elle atteint 1 mètre de haut. Tiges et feuilles raides, épis au vent. Souche fibreuse, inexpugnable, elle élimine ses rivales grâce aux toxines de ses racines. Elle a profité des travaux de drainage, puis des incendies. Elle a rendu rares les sphaignes et les autres végétaux de la tourbe. La crête des Hautes-Fagnes formait, autrefois, un immense marécage semé de bouleaux, d'aulnes et de conifères. Au XIX e siècle, des bergers y mirent leurs moutons. Puis (quand la contrée fut prussienne) d'autres hommes y creusèrent des canaux de drainage et y plantèrent épicéas et pins sylvestres. Eternelle bêtise des « mises en valeur » à la mode des technocrates.