I
HUSSERL
et
LA CONSTITUTION DU SCHÈME
DU PERÇU
La lecture classique de Husserl, celle que lui-même revendique, est l'examen sur titres de ce qu'il entend fonder : la philosophie comme « science rigoureuse » nécessitant un « recommencement absolu ». Soit, par le biais des réductions phénoménologique et eidétique, la mise au jour de l'Ego transcendantal, et en lui des structures aprioriques dans lesquelles se constitue le « vécu » de toute expérience ; mais aussi ce que le caractère normatif de ces structures doit à une Logique transcendantale dédoublée, apophantique (formelle) et ontologique (de l'objet), et par là, la détermination de la vérité comme évidence intuitive fixant la téléologie de la connaissance, philosophique et scientifique ; et pour finir, un retour sur la constitution de l'Ego lui-même comme constitution du flux temporel. Cela dit pour ne mentionner que les décisions les plus massives, qui sont dans le fait transcrites dans un appareil “ramifié” d'une complexité extraordinaire, où se multiplient couches et recouvrements, et qui devrait s'achever – s'il était achevable – sur le tracé systématique de l'édifice de la raison.
Ce n'est pas cette lecture-là1 que j'engage. L'objet ici interrogé n'est pas l'appareil entier de la Phénoménologie, mais la dépendance où elle s'est d'emblée placée vis-à-vis du schème de la perception. Et le mode sur lequel elle illustre les impasses où conduit ce schème-là. Aussi bien les Ideen entendent-elles exposer les lignes « directrices » de la Phénoménologie sur ce qui s'avère être de bout en bout une analyse de la constitution de la perception : il faudrait s'aveugler pour ne pas voir que c'est là ce qui soutient tout l'édifice. Aussi bien encore cette analyse s'appuie-t-elle sur l'inventaire le plus fouillé et le plus éclairant de ce qu'importe ce concept de perception dont il est, pour une pensée conséquente du travail critique que j'appelais en commençant, requis de se délivrer. Il suffira, pour ce faire, de saisir comment c'est le dual de la perception qui chez Husserl se projette dans le présupposé du transcendantal. On ne tardera pas à voir que de ce présupposé, le coût révélateur est la problématique de la transcendance, entendue comme celle, toujours renaissante, de l'extériorité du perceptif.
En revanche, de ce que la perception est, chez Husserl, constitution rationnelle, on peut attendre que la logique du discours y soit déjà largement dépliée et qu'il y en ait beaucoup à apprendre. Ce que nous attendons de cette lecture, c'est, une fois les termes de l'appareil husserlien délivrés du présupposé transcendantal et la consistance interne de leur articulation retrouvée, tenir un schème de l'énoncé perceptif qui s'autorise de lui-même. Nous assurant l'appareil avec lequel nous pourrons ensuite, en le “remplissant”, progresser.
I
Du transcendantal au discursif2
Soyons « naïfs » puisqu'il convient de l'être. Qu'on l'appelle donation ou présentation ou représentation de la présentation, la perception est, phénoménologiquement parlant, le tuf de toute expérience, et son champ celui où s'éprouve immédiatement le il y a de l'empirie. Ce n'est pas le voile tremblant d'un spectacle douteux : nous y sommes autant qu'à nous-mêmes, comme à ce qui dans le sensible se livre à nous pour de la réalité, et qui du même trait conforte la nôtre. Le “il y a” inscrit dans ce qui est perçu vient au principe de toute pensée – comme pensée de ce qu'il y a de réalité dans le perçu et au-delà. Au réveil d'une anesthésie, ce qu'on appelle reprendre conscience signifie précisément cela : la pensée du “il y a” qui nous englobe, les choses, la pensée et moi. Sur le fond de quoi un premier travail critique – classique – consiste à dégager ce qu'il y a “vraiment” dans ce qui se voit : ce qui de la réalité peut être induit comme proprement réel, dont on déduit bientôt ce qui y tient à moi, qui perçois. Une réflexion seconde retourne la question : y a-t-il, ou qu'y a-t-il, hors l'il y a singulier de ma représentation ? – c'est la question de l'idéalisme. C'est celle de Husserl, qui y répond à double entrée : par la passivité des data sensibles mais la constitution de la représentation d'objet dans l'immanence de la conscience intentionnelle.