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La première victime fut retrouvée gisant sur le trottoir de Hollywood Boulevard, près de l’étoile dédiée à l’actrice Nicole Kidman.
Un peu éméchés, des touristes qui rentraient d’une fête, au petit matin, faillirent marcher sur le corps de Mary Alice Malone et furent bien obligés de mettre un terme un peu brusque à leurs vacances.
Souvenir de Los Angeles…


Le soleil se reflétait dans les objectifs des appareils photo et inondait les lieux du crime d’une lumière crue et impitoyable. Sous le corps de la jeune femme, une petite mare de sang s’était échappée en rigoles sombres jusqu’au caniveau. Les grands yeux bleus de la victime semblaient contempler le ciel clair du matin avec un étonnement figé.
Plus tard, le corps fut recouvert d’une couverture, mais Mary Alice Malone n’était plus depuis longtemps d’humeur à apprécier cette attention.
D’inévitables badauds, mus par une curiosité malsaine, s’étaient amassés près de la scène ; les flashs crépitaient et les touristes, qui s’étaient trouvés là par malchance, sanglotaient, en s’étreignant les uns les autres. Les policiers s’efforcèrent de circonscrire les lieux du crime, en tendant un ruban jaune tout autour, et tentèrent tant bien que mal de chasser la pitié de leur regard, afin de se donner l’air professionnel qui semblait s’imposer dans de telles circonstances.
Mais ce n’était après tout qu’un crime de plus à Los Angeles. Aussi insupportable soit-il, il ne méritait pas plus qu’une brève allusion sur la chaîne d’informations locale et un mince entrefilet à la page des faits divers dans le Los Angeles Times.
Un homme, pourtant, semblait prêter une attention particulière à la scène.
Debout près de la bande jaune délimitant les lieux du crime, il scrutait avec attention la foule de plus en plus dense des badauds. Il savait que sa proie était là, proche de lui. Il reconnaissait le style du tueur pour l’avoir déjà combattu autrefois. A présent, la chasse était de nouveau ouverte.
Il savait aussi que ce meurtre n’était qu’un prélude.


La fête battait son plein. Julie Carpenter pivota sur sa chaise de bureau pour contempler avec impuissance la porte qui séparait la suite parentale qu’elle occupait du reste de la maison. Dans le salon, les enceintes de la chaîne crachaient un morceau de rock dont les basses faisaient trembler les murs et vibrer le plancher. Julie avait mal à la tête et son estomac criait famine. Elle dut se rendre à l’évidence : il lui serait impossible de travailler ce soir.
– Merci beaucoup, Evan Fairbrook, marmonna-t-elle, en jetant avec lassitude son crayon sur le bloc-notes posé devant elle.
Fatiguée, elle contempla le plafond de ses yeux rougis par l’ordinateur, maudissant une fois encore son ex-mari. Pauvre type ! Non content de coucher avec la meilleure amie de sa femme, et sans doute aussi avec la moitié de Cleveland, il avait également vidé leurs comptes en banque et avait pris la poudre d’escampette avec sa voiture. Julie s’en était malheureusement rendu compte trop tard, mais Evan était incontestablement ce que l’on pouvait appeler un être nuisible de premier ordre. S'ils avaient possédé un chien, à coup sûr, il aurait essayé de lui mettre un coup de pied avant de partir.
Impossible pour Julie d’envisager de rester à Cleveland après ça.
Pas avec tous ces gens qui la regardaient par en dessous en se demandant comment une fille aussi brillante avait pu se montrer naïve et stupide à ce point.
Julie poussa un gros soupir et se rappela qu’elle avait bien fait de déménager en Californie, même si sa famille lui manquait, surtout son petit frère. Elle vivait dans une nouvelle ville, avait un nouveau travail et fréquentait des gens qui avaient la chance inouïe de n’avoir jamais entendu parler d’Evan Fairbrook.
Adieu le pavillon de banlieue ! Elle partageait à présent une ancienne demeure sur les hauteurs de Hollywood Hills avec deux autres jeunes femmes qui étaient devenues ses amies. Elle poursuivait sa carrière de journaliste qui lui avait jusqu’alors permis de faire bouillir la marmite, pendant qu’Evan montait son entreprise de logiciels.
Une entreprise qui avait périclité dès qu’Evan s’était sauvé avec la caisse, direction la Barbade, avant que ses créanciers ne se réveillent.
Tout ce que Julie espérait à présent, c’est qu’il avait développé un bon gros mélanome à force de s’ébattre nu sur la plage en compagnie de son ex-meilleure amie Carol qui, faisant fi de leur vieille complicité, n’avait eu aucun scrupule à la trahir.