Introduction
« Avant, les événements qui se déroulaient dans le monde n’étaient pas liés entre eux. Depuis, ils sont tous dépendants les uns des autres. »
La constatation est banale, hormis le fait que celui qui la formule est Polybe, et qu’il vivait au IIe siècle avant J.-C., durant la période qui avait suffi à Rome pour faire la conquête de son empire1.
Plus près de nous, l’idée de village global fut introduite en 1960 par MacLuhan2. Le terme de globalisation apparu pour la première fois semble-t-il en 1962 dans un article du Spectator magazine, et est entré dans le langage courant à partir de la publication de 1962 de McLuhan : la Galaxie Gutenberg. Le terme anglais Globalism est cité pour la première fois en 1968 dans la seconde édition d'Oxford English Dictionary3. En français, ces termes devinrent rapidement « mondialisation et globalisation ». Dans le HarperCollins Dictionary of Sociology, la mondialisation est définie comme : « un processus à multifacettes dans lequel le monde devient de plus en plus interconnecté et la communication devient instantanée »4.
La mondialisation comme phénomène multidimensionnel5
Dans une perspective sociologique, la mondialisation est définie comme un « processus social dans lequel les contraintes géographiques sur les arrangements sociaux et culturels disparaissent ». Dans une perspective politique, la mondialisation sera parfois analysée comme un « processus rendant l’État nation de plus en plus non pertinent » (Waters6. Dans une perspective économique, la mondialisation sera définie comme une internationalisation et interpénétration croissante des économies. Trois niveaux d’analyse sont alors souvent dégagés : les niveaux du pays, de l’industrie et de l’entreprise (firme multinationale). Dans ce cadre, le terme mondialisation va décrire l’ouverture croissante des marchés de biens et de services, du système financier, des entreprises et des secteurs d’activité, de la technologie et de la concurrence. Dans chacune de ces ouvertures croissantes, les forces du marché et celles des politiques publiques des États ont été en même temps les déterminants majeurs des changements intervenus7.
La mondialisation comme phénomène industriel
Pour Porter8, au niveau industriel, la mondialisation consiste en « une série d’industries liées entre elles et au sein desquelles des entreprises rivales se concurrencent les unes les autres sur une base réellement mondiale ». La mondialisation industrielle met la lumière sur les aspects d’intégration et de liens entre les industries et entre les pays qui sont appréhendés par des indicateurs.
Les chercheurs examinant la mondialisation par rapport aux moteurs, processus, degrés et effets de celle-ci distinguent les catégories suivantes : 1/ Un monde sans frontières (Ohmae9 ; 2/ Des produits mondiaux standardisés (Levitt10, et donc un management global. 3/ Une concurrence mondiale entre grandes entreprises. 4/ Une internationalisation de la production : avec une origine multinationale des produits et composants issus de coopération inter-entreprises, de sous-traitance ou de toutes autres formes hybrides de collaboration. La mondialisation des entreprises et des industries est conduite alors par une forte croissance des investissements directs à l’étranger, des relocalisations et de fusions acquisitions. Ces stratégies sont liées à une fragmentation internationale des processus de production (cf. chapitre 2). L'idée selon laquelle l’entreprise se globalise en réalisant une intégration mondiale et en réseaux de ses opérations de production et de distribution se retrouve dans tous les courants d’analyse sur les stratégies internationales des entreprises (Dunning11.
La mondialisation comme apparition de nouveaux éléments
La mondialisation est également liée à l’apparition de nouveaux marchés, acteurs, de nouvelles règles et de nouveaux moyens de communication.
1/ De nouveaux marchés : engendrés par l’arrivée dans l’économie mondiale des consommateurs et producteurs des pays de l’ancienne sphère soviétique et de l’Asie, par les nouvelles politiques de privatisations, de déréglementation, de libéralisation financière etc. 2/ De nouveaux acteurs : Les réseaux mondiaux d’entreprises multinationales, les nouveaux États, mais aussi les ONG, la prolifération des blocs régionaux ainsi que de nombreux groupes de coordination G-8, G-10, G-22, G-77, OCDE. 3/ De nouvelles normes et règles : comme les tentatives de mises en place de codes communs au niveau mondial et d’agenda inter-étatiques pour le développement, la biodiversité, la lutte contre la désertification, les changements climatiques, l’avènement de nombreux accords multilatéraux sur les échanges de services, la propriété intellectuelle, les communications, etc. 4/ De nouveaux instruments de communication plus rapides et moins chers : Internet, communication électronique, téléphones portables, des transports plus rapides etc.
La mondialisation comme un ensemble de chocs, de défis et de peurs
Pourtant la mondialisation inquiète. La revue The Economist a appelé le mot mondialisation comme « le plus galvaudé du vingt et unième siècle », aucun terme n'ayant sans doute voulu dire autant de choses pour autant de gens. Pour certains, c'est une sorte de nirvana, un état de grâce où règnent la paix et la prospérité universelles ; pour d'autres, il s'agit d'un nouveau genre de chaos qui doit être condamné.
Un sondage de l’institut Gallup en 2003 a d’ailleurs montré la désillusion, pour certains, vis-à-vis des impacts de la mondialisation. La question posée à 7 515 personnes de l’Union européenne à 15 était : « la mondialisation représente-t-elle pour les entreprises de votre pays une opportunité, ou une menace ? ». En moyenne, seuls 30 % des Européens sondés, estimaient que la mondialisation était une menace. En Suède, ce pourcentage tombait à 24 %, au Royaume-Uni à 35 %, en Allemagne à 39 %, etc. Mais, pour les Français, les Grecs et les Belges, plus de 50 % des sondés ont répondu : une menace12 !
Dans un sondage plus récent, lorsque l’on demande aux Français si la mondialisation est une menace pour l’emploi, ils sont 73 % à répondre « oui »13. Tant et si bien que le ministère français du Commerce extérieur a demandé à un groupe de réflexion de rechercher comment changer cette « mondiale attitude » de la population française. Pascal Morand observe que « le débat sur la mondialisation, ou plutôt sur les mondialisations (économique, culturelle, politique, sociale et politique) est singulièrement vif en France car le système d’économie de marché globalisée n’est pas perçu par tous comme un facteur de progrès »14.
Mais pour beaucoup, la mondialisation représente d’abord des chocs venus de l’extérieur. On analysera les principaux chocs de la mondialisation de cette dernière décennie afin de mieux les comprendre. Seront étudiés : les chocs démographiques, commerciaux, industriels financiers et technologiques. La France apparaîtra souvent dans une situation fragile par rapport à ses partenaires ce qui peut expliquer ses craintes vis-à-vis de la mondialisation. Un autre tome de cette collection sera consacré à l’histoire de la mondialisation et aux défis futurs sur l’environnement, les énergies et la pauvreté.
1 Polybe a écrit, entre autres, les Histoires, dont seuls cinq volumes sur les quarante d’origine nous sont parvenus dans leur totalité. http://fr.wikipedia.org/wiki/Polybe_(historien)
2 Cf. par exemple, The Global Village, Transformations in World Life and Media in the 21th Century, œuvre posthume avec Bruce R. Powers, Oxford University Press, N.Y., 1989, 222 p.
3 Cf. New World Encyclopedia, Mot : Globalization, http://www.newworldencyclopedia.org/entry/Globalization
4 David J. et J. Jary, 2000, The HarperCollins Dictionary of Sociology. 3rd ed. Glasgow: HarperCollins, p.249.
5 Akhter S. ,2004, “Is globalization what it’s cracked up to be?”, Journal of World Business, n° 3, août, p. 283-295.
6 Waters M., 1998, Globalization, Routledge, N.Y.
7 Cf. OCDE, 2005, Manuel sur les indicateurs de la mondialisation économique, Paris.
8 Cf. par exemple, Porter M., Choix stratégiques et concurrence, Economica, 1986.
9 Ohmae K.,1991, L'entreprise sans frontières, Paris : InterEditions.
10 Levitt T., 1983, « The globalization of markets », Harvard Business Review, vol. 61, n° 3, p. 92-102.
11 Cf. par exemple Dunning J. et J.-L. Mucchielli, éditeurs, 2000, Multinational Firms : The Global-Local Dilemma, Routledge, 2001.
12 Le Flash Eurobaromètre sur la « mondialisation » a été publié par la Sofres / Gallup Europe. Ce sondage a été effectué auprès de 7 515 citoyens européens interrogés par téléphone dans les 15 États membres entre le 8 et le 16 octobre 2003.
13 Nouveau sondage réalisé par la Sofres en février 2005. Cité par P. Auer, G. Besse et D. Méda (dir.), Off-shoring and the Internationalization of Employment: A Challenge for Fair Globalization?, Organisation internationale du travail, 2005, http://www.ilo.org/public/english/bureau/inst/download/annecy06.pdf
14 Cf. P. Morand, 2007, Mondialisation : changeons de posture, rapport du groupe de travail international sur la mondialisation, ministère du commerce extérieur, La Documentation française, Paris.
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Les chocs humains de la mondialisation
Pour une partie de la population occidentale, la mondialisation, c’est d’abord un ensemble de craintes liées en particulier aux chocs humains, c’est-à-dire au chômage, aux salaires et au pouvoir d’achat. À ces premières peurs s’ajoutent des perspectives démographiques jugées très inquiétantes pour les pays développés, car ces derniers vont connaître une transformation profonde de leur population. Ce dernier point débouche alors sur des débats au niveau des migrations soit intra-européennes, soit extra-européennes et enfin sur des inquiétudes au sujet de la pauvreté dans les pays développés et en développement.
1. Chômage dans les pays développés et mondialisation
A. Un niveau record dans les années 1980-1990