Direction de la collection : Carine GIRAC-MARINIER
Direction éditoriale : Jacques FLORENT
Édition : Marie-Hélène CHRISTENSEN
Lecture-correction : Joelle NARJOLLET
Direction artistique : Uli MEINDL
Couverture et maquette intérieure : Serge CORTESI, Sophie RIVOIRE , Uli MEINDL
Dessin de couverture : Alain BOYER
Mise en page : JOUVE SARAN
Responsable de fabrication : Marlène DELBEKEN

© Éditions Larousse 2013

ISBN : 978-2-03-589295-9

 

 

AVANT D’ABORDER L’ŒUVRE

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Fiche d’identité de l’auteur

Molière

Nom : Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière.

Naissance: 1622, à Paris.

Famille: grand-père et père maîtres tapissiers du roi. Mère décédée en 1632. Mariage avec Armande Béjart. Deux fils morts très jeunes et une fille, Esprit-Madeleine.

Éducation : assiste, enfant, avec son grand-père aux spectacles de foire et aux farces du Pont-Neuf. Scolarité à Paris dans un collège jésuite. Études de droit à Orléans.

Débuts difficiles: rencontre la comédienne Madeleine Béjart et fonde avec elle l’Illustre-Théâtre en 1643. Acteur, auteur et chef de troupe, prend le pseudonyme de Molière. Se rêve tragédien mais nombreux échecs en la matière. En 1645, faillite, endettement et prison. Fonde avec Madeleine une nouvelle troupe. Tournées en province pendant treize ans. Grands succès des farces.

Consécration : en 1658, retour à Paris. Triomphe des Précieuses ridicules (1659). Invention de la comédie-ballet avec Les Fâcheux en 1661, genre représenté à la cour puis à la ville. Protection de la troupe par Monsieur, frère du roi, puis par le roi lui-même, en 1665.

À partir de 1664, collaboration avec Lully pour les comédies-ballets.

Deux versions interdites de Tartuffe (1664 et 1667) qui s’attaque à l’hypocrisie religieuse. Cabale des dévots contre Molière. Scandales provoqués par L’École des femmes (1664) et Dom Juan (1665).

Vie privée agitée. Santé fragile (fluxion au poumon à 43 ans).

Triomphes de L’Avare (1668), Tartuffe (1669) et Le Bourgeois gentilhomme (1670).

Dernières années: en 1672, mort de Madeleine Béjart, échec des Femmes savantes, brouille avec Lully qui supplante Molière dans la faveur royale. Malaise au cours d’une représentation du Malade imaginaire (1673). Décède à son domicile. Enterrement de nuit, sans inhumation chrétienne.

 

 

Pour ou contre

Molière ?

Pour

Sébastien Roch Nicolas de CHAMFORT :

« Molière […] renversa l’ancien système ; et, tirant le comique du fond des caractères, il mit sur la scène la morale en action, et devint le plus aimable précepteur de l’humanité qu’on eût vu depuis Socrate. »

Éloge de Molière, 1769

 

Émile HENRIOT :

« J’aime Molière de tout mon cœur, son œuvre immense, le poète et l’homme ; l’homme réel autant que le génie. Il a eu le génie le plus humain de toute notre littérature. Il traduisait gaiement des vérités tristes. » Le Temps, 28 janvier 1936

Contre

BOSSUET :

« Molière remplit encore à présent tous les théâtres des équivoques les plus grossières dont on ait jamais infecté les oreilles des chrétiens. » Maximes et réflexions sur la comédie, 1694

 

Jean-Jacques ROUSSEAU :

« Voyez comment, pour multiplier ses plaisanteries, [Molière] trouble tout l’ordre de la société ; avec quel scandale il renverse tous les rapports les plus sacrés sur lesquels elle est fondée, comment il tourne en dérision les respectables droits des pères sur leurs enfants, des maris sur leurs femmes, des maîtres sur leurs serviteurs ! » Lettre à d’Alembert sur les spectacles, 1758.

 

 

Repères chronologiques

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Fiche d’identité de l’œuvre

Monsieur de Pourceaugnac

Auteur: Molière (47 ans).

Genre: comédie-ballet.

Forme: pièce en prose entrecoupée de chants en vers et de danses.

Structure: 3 actes.

Principaux personnages: Léonard de Pourceaugnac, avocat de Limoges, fier de son titre de gentilhomme ; Oronte, vieil homme cupide qui veut marier sa fille Julie à Pourceaugnac ; le couple d’amoureux Éraste et Julie, bien décidés à ne pas accepter le mariage imposé par Oronte ; leurs complices, Sbrigani et Nérine, à la moralité douteuse ; deux médecins aussi pédants qu’incompétents…

Sujet: à Paris, Éraste et Julie sont épris l’un de l’autre mais le père de Julie a décidé de la marier à un avocat de Limoges, Monsieur de Pourceaugnac. Ce n’est pas qu’il le connaisse, il a simplement entendu dire que le gentilhomme limougeaud était un peu plus fortuné qu’Éraste. Ce dernier a donc conçu toute une série de stratagèmes pour chasser le fâcheux de la capitale et épouser Julie. Or, dès son arrivée à Paris,

Pourceaugnac est la risée des badauds qui se moquent de son costume grotesque qu’il a voulu inspiré de la cour. Vaniteux et crédule, Pourceaugnac accorde facilement sa confiance à Sbrigani, un complice d’Éraste, qui le flatte et prétend éprouver une vive amitié pour lui. Il croit tout aussi naïvement Éraste qui se présente comme un ami de sa famille. De là s’ensuit une folle série de méprises pour le lourdaud limougeaud : des médecins à qui Éraste a fait croire qu’il était fou veulent à tout prix lui infliger un lavement, deux femmes qui se font passer pour ses épouses l’accusent de polygamie devant son futur beau-père… Le séjour du Limousin dans la capitale se révèle cauchemardesque pour lui, et jubilatoire pour le spectateur.

 

 

Pour ou contre

Monsieur de Pourceaugnac ?

Pour

Théophraste RENAUDOT :

« Leurs Majestés continuent de prendre ici le divertissement de la chasse ; et, hier, elles eurent celui d’une nouvelle comédie par la Troupe du Roi, entremêlée d’entrées de ballets et de musique ; le tout si bien concerté qu’il ne se peut rien voir de plus agréable. »

La Gazette, 12 octobre 1669

 

VOLTAIRE :

« Pourceaugnac est une farce ; mais il y a dans toutes les farces de Molière des scènes dignes de la haute comédie. Un homme supérieur, quand il badine, ne peut s’empêcher de badiner avec esprit. »

Vie de Molière avec de petits sommaires de ses pièces, 1739

Contre

Adolphe BRISSON :

« Le comique en est énorme ; je ne crois pas qu’il agrée beaucoup aux femmes d’aujourd’hui ; elles prisent médiocrement la grossièreté des plaisanteries scatologiques ; elles se sont fait, à cet égard, une pudeur que ne connaissaient pas leurs aïeules. »

Le Théâtre (troisième série), 1908

 

 

Pour mieux lire l’œuvre

e9782035892959_i0005.jpg Au temps de Molière

Noblesse de naissance et noblesse acquise

Comédie-ballet moins célèbre que Le Bourgeois gentilhomme, Monsieur de Pourceaugnac a été écrite un an plus tôt. Or, par bien de ses traits, Pourceaugnac préfigure Monsieur Jourdain. Les deux personnages ne sont pourtant pas de même condition : Jourdain est un bourgeois parisien qui se rêve gentilhomme et Pourceaugnac un hobereau de Limoges fier de ses titres de noblesse. Quel ridicule Molière a-t-il pointé chez ce gentilhomme de province ?

Pour le comprendre, il faut se rappeler que la noblesse perd nombre de ses prérogatives au cours du XVIIe siècle. L’autorité monarchique se renforce à ses dépens, particulièrement depuis la Fronde (1648-1653) qui a vu les nobles réagir brutalement à la montée de l’absolutisme royal. Pour réduire le pouvoir de la noblesse, mais aussi pour remplir les caisses de l’État, la monarchie met à la vente nombre de charges et d’offices. Des bourgeois enrichis par le développement du commerce s’en emparent et la noblesse de sang assiste impuissante à l’ascension d’une noblesse d’un nouveau genre, qui doit ses titres à sa fortune et non à sa naissance. Pourceaugnac, qui ne cesse de se vanter d’être un gentilhomme, a probablement hérité du titre acheté par son père avec une charge d’avocat. Il incarne de manière bouffonne cette noblesse récemment acquise qui veut bénéficier du prestige lié à sa nouvelle condition.

Elle n’est cependant pas imprégnée des valeurs, léguées notamment par la chevalerie, que porte l’aristocratie depuis des siècles. Or, ces valeurs sont menacées, comme en témoigne l’interdiction du duel par Richelieu en 1626. Mais la lâcheté de Pourceaugnac s’en accommode avec une forfanterie grotesque. Ayant subi l’affront d’un soufflet par un gentilhomme périgourdin, le nobliau limougeaud se flatte d’y avoir répondu par des mots : « Il me donna un soufflet, mais je lui dis bien son fait » (acte I, scène 4).

Vivant sur les vestiges d’un code de l’honneur qui s’étiole, la noblesse est désormais soumise par la cour à une étiquette très stricte. Souci obsessionnel de l’apparence, rivalité féroce entre courtisans pour obtenir une faveur du roi, contrefaçon de l’aristocratie par des bourgeois enrichis ou récemment ennoblis : la cour et ceux qui rêvent d’en être forment un petit théâtre en soi où Molière puise son inspiration.

Un signe révèle avec éclat cette théâtralité sociale : lors des spectacles, les marquis avaient leurs places réservées sur les côtés de la scène, à proximité des acteurs. Or, l’une des sources probables du personnage de Pourceaugnac est, selon Grimarest, « un gentilhomme limousin, qui, un jour de spectacle et dans une querelle qu’il eut sur le théâtre avec les comédiens, étala une partie du ridicule dont il était chargé ». Il est d’ailleurs remarquable que l’importun perturbant une représentation était déjà le premier des Fâcheux, la toute première comédie-ballet de Molière, écrite en 1661.

Origines de la comédie-ballet

Cette année-là, le surintendant Fouquet qui est en charge des finances du royaume décide d’organiser une fête somptueuse en son château de Vaux-le-Vicomte. Ce domaine magnifique doit aux talents combinés de l’architecte Le Vau, du paysagiste Le Nôtre et du peintre Le Brun. Fouquet passe commande à Molière d’une comédie ; l’auteur n’a que quinze jours pour l’écrire. Or, à l’époque, une fête d’une telle ampleur ne peut se concevoir sans ballet. Le ballet de cour, genre alors très prisé, est un spectacle sans trame narrative, surtout prétexte à exhiber des costumes majestueux. Comme les danseurs doivent changer de costume entre deux entrées, Molière a l’idée d’intercaler entre les scènes de comédie chacun des passages dansés : « On s’avisa de les coudre au sujet du mieux que l’on put, et de ne faire qu’une seule chose du ballet et de la comédie. » C’est ainsi qu’il compose Les Fâcheux et invente la comédie-ballet.

Le roi lui-même fait partie des invités. Grand amateur de spectacles, il est enthousiasmé par cette union inédite de la comédie, de la musique et de la danse. Aussi invite-t-il la troupe de Molière l’année suivante à Versailles et l’auteur compose pour l’occasion une autre comédie-ballet. Après la fête de Vaux-le-Vicomte, Louis XIV recrute Le Vau, Le Nôtre et Le Brun pour l’extension du château dont la construction a été entamée par son père Louis XIII. Il faut que le château et son jardin soient encore plus somptueux que ceux de Fouquet. Pour asseoir le pouvoir absolu du monarque, la ville de Versailles a été choisie à l’écart des turbulences de la capitale. Molière y est dès lors régulièrement invité. Une fois par an au moins il y présente une comédie-ballet.

Comme à Vaux-le-Vicomte, les comédies-ballets se donnent dans le cadre de divertissements qui peuvent durer plusieurs jours. Ils incluent des jeux de toutes sortes, des feux d’artifice, des machineries complexes qui activent quantité de fontaines… Le faste déployé à l’occasion de ces fêtes royales contraste cruellement avec la famine qui règne dans le pays. Mais ces divertissements ne se contentent pas de satisfaire le bon plaisir du roi, ils délivrent également un message politique. Il s’agit d’affirmer la toute-puissance du monarque.

Les fêtes royales se déroulent le plus souvent pendant la saison du carnaval, parfois à l’automne, lorsque la cour se déplace en province pour la chasse. C’est ainsi que Monsieur de Pourceaugnac est représent é pour la première fois en octobre 1669 et le Bourgeois gentilhomme en octobre 1670 au château de Chambord.

Caractéristiques de la comédie-ballet

Les douze comédies-ballets composées par Molière célèbrent le plaisir et l’amour. Nombre d’entre elles content les ruses ourdies pour écarter le fâcheux, tel Pourceaugnac, qu’un père tyrannique veut marier à sa fille. Le mariage de celle-ci avec l’élu de son cœur forme leur heureux dénouement. À l’union de deux êtres qui se sont choisis répond en écho l’harmonie entre la comédie, la danse et la musique unies en un spectacle total.

Le canevas de ces pièces provient généralement de la commedia dell’arte. Molière a lui-même été formé au jeu comique par Scaramouche, un acteur italien spécialisé dans ce genre théâtral. Monsieur de Pourceaugnac n’oublie pas son maître : dans le final, deux Scaramouches dansent, accompagnés des personnages traditionnels de la commedia dell’arte.

En 1664, pour Le Mariage forcé, Molière collabore pour la première fois avec le compositeur Lully, surintendant de la musique royale. Molière n’hésite pas à lui confier des rôles, notamment celui de l’un des deux médecins dans Monsieur de Pourceaugnac. La voix de fausset que prend Lully pour ce personnage, son débit italien et sa verve comique ravissent le public. L’auteur et le compositeur créent ensemble neuf comédies-ballets. Quant aux danses, toutes sont réglées par Beauchamp.

L’important pour Molière est de rendre aussi naturel que possible le passage de la parole au chant et du jeu à la danse. Il a senti dans Les Fâcheux que l’articulation du théâtre avec le chant et le ballet était un peu artificielle. Il s’en explique : il a eu peu de temps pour écrire sa comédie et il a manqué un maître d’œuvre unique pour orchestrer les divers éléments du spectacle, aussi « on trouvera peut-être quelques endroits du ballet qui n’entrent pas dans la comédie aussi naturellement que d’autres ». Le naturel, telle est l’obsession de Molière. Dans Monsieur de Pourceaugnac, l’enchaînement des scènes est limpide, les chants et les ballets sont préparés par les dialogues, une course-poursuite se transforme en danse avec grâce et drôlerie. Ce naturel sert la satire qui cible ceux qui, à l’instar de Pourceaugnac, prétendent être ce qu’ils ne sont pas.

Les comédies-ballets se donnent d’abord devant la cour avant d’être jouées à Paris. Après sa première à Chambord, Monsieur de Pourceaugnac est joué à Versailles le 4 novembre et à Paris, au théâtre du Palais-Royal, pour plusieurs mois. À la cour, on se délecte de l’accoutrement ridicule de Pourceaugnac, ce gentilhomme de pacotille. À Paris, on prend plaisir à voir maltraiter un provincial étranger aux mœurs de la capitale : « S’il a envie de se marier, que ne prend-il une Limosine, et ne laisse-t-il en repos les chrétiens ? » s’enflamme Nérine (acte I, scène 1). Il est bien peu probable que Pourceaugnac ne soit pas chrétien. Mais Molière n’hésite pas à s’amuser de préjugés encore vivaces après les guerres de Religion. Et puis, à la cour comme à Paris, on se pique de parler un français conforme à l’usage que fixe l’Académie française créée en 1635. Or, Monsieur de Pourceaugnac déforme à loisir le français en le soumettant à une profusion de tournures et d’accents issus de l’occitan, du picard, du flamand ou encore du suisse. La comédie-ballet est le miroir bouffon de la douloureuse unification du royaume par la langue entreprise au siècle de Louis XIV.

e9782035892959_i0006.jpg L’essentiel

Avec son hobereau qui singe le courtisan, Molière s’amuse du déclin de la noblesse et de la toute-puissance de la cour. C’est d’ailleurs pour elle qu’il présente d’abord ses comédies-ballets avant de les jouer à Paris. Dans cette forme théâtrale qu’il a inventée, il cherche le naturel du lien entre théâtre, chants et danses, et combat l’artifice qui consiste à se prendre pour ce que l’on n’est pas.

e9782035892959_i0007.jpg L’œuvre aujourd’hui

De la comédie-ballet, la postérité aura surtout retenu le texte de Molière, les mises en scène ultérieures à l’auteur sacrifiant souvent les chants et les ballets. Mais des recherches récentes ont remis au goût du jour musique et danse baroques, et il arrive que la pièce soit jouée avec tous ses ingrédients. Il est d’ailleurs probable que cette vaste mascarade, qui se présente sous la forme d’un spectacle total, rencontre les goûts de notre époque dont l’essayiste Philippe Muray a épinglé avec malice l’obsession pour la fête.

En outre, la cruelle drôlerie de Monsieur de Pourceaugnac s’accorde facilement à l’impertinence et l’irrévérence, formes d’humour répandues aujourd’hui. Il n’est cependant pas interdit de penser que le génial auteur comique risquerait de nos jours quelques proc ès tant sa caricature des langues régionales est virulente. Molière n’épargne rien ni personne, et sa pièce est aujourd’hui un défi au politiquement correct comme elle transgressait jadis les règles de la bienséance. Mais l’auteur, habile et humain, prend soin de préparer les outrages dont il va rendre victime son personnage. « Pourceaugnac est une chose que je ne saurais supporter » dit de lui Nérine dès la première scène de la pièce. Ainsi dépouillé de son humanité, le gentilhomme de province n’est plus qu’un pantin prêt à devenir un parfait bouc émissaire.